– Blast (Tome 3), de Manu Larcenet –

En 2009, Larcenet marquait un tournant dans sa carrière en publiant Blast, une œuvre dense, violente et radicale, sorte d’exutoire lui permettant de traiter ses obsessions les plus profondes et les plus sombres : la mort, la maladie, la dépression, la haine de soi, la haine de l’autre, la haine contre notre société et ses injustices…

Le premier tome mettait en scène Polza Mancini, un écrivain obèse menotté dans une minuscule salle d’interrogatoire face à deux flics malingres tentant de lui tirer des aveux à propos de l’agression d’une femme qu’il aurait laissée entre la vie et la mort.
L’accusé, arguant que les policiers ne pourraient comprendre la teneur de ses actes qu’en connaissance des épreuves qu’il a traversées, se lance alors dans le long récit de sa vie ; de la mort de son père à la longue errance qui s’en suivit, en passant par les traumas de son enfance dus à son obésité, sa clochardise volontaire, et bien sûr, ce fameux Blast : sensation indescriptible, entre état de choc et plénitude absolue, sorte d’implosion l’ayant frappé soudainement et brutalement, provoquant une déferlante de sentiments de bien être, de perception accrue du monde alentour, de libération totale des contraintes physiques et morales…
Il n’aura alors de cesse de retrouver cet état de grâce, s’abandonnant totalement, retournant quasiment à l’état d’animal, vivant moitié nu au cœur de la forêt, dans un état d’ébriété constant, se nourrissant de charognes et ingurgitant des litres et des litres d’alcool.

Un éprouvant voyage au cœur de la déchéance humaine que Larcenet illustre magistralement d’un trait grave et torturé, à l’image de son personnage qu’il fera évoluer dans un univers sombre et poisseux, trainant sa grasse carcasse sous de lourds ciels orageux et menaçants, magistralement dépeints par des lavis au noirs profonds et à l’hallucinante palette de gris… les seules touches de couleurs allégeant cet album oppressant étant accordées aux pages dédiées aux fameux blasts libérateurs.

Dans le second tome, Polza s’attardait sur sa rencontre avec Saint Jacky, un vieil SDF à la fois cultivé et primaire, bonne patte et violent, qui accueillera notre bonhomme à ses côtés le temps d’un hiver empli de littérature et d’échange, mais aussi de violence pure et de drogue dure… jusqu’à l’apocalypse.

 

Voyant la fin de sa garde à vue approcher, les inspecteurs pressent Mancini et le prient d’en venir au fait. Mais notre homme reste persuadé que chaque détail à son importance, et prend donc son temps pour nous raconter comment il décida de fuir Jacky et reprendre son errance.
Une errance qui l’emmènera sur les traces d’un peintre capable de peindre la douleur, qui le poussera à s’automutiler gravement, et qui s’interrompra de nouveau pour un long séjour en hôpital psychiatrique.

Durant ce séjour, il apprendra l’art de l’immobilité. D’interminables instants partagés entre ennui et introspection, où il reviendra sur la mort de son frère – qui le brisa –, celle de son père – qui le libéra autant qu’elle l’affecta –, et sa propre mort – qu’il attend, repousse, et espère à la fois.

Mais l’été revient, et l’appel de la liberté avec lui. Polza s’évade donc du centre de soin pour se fondre de nouveau dans la nature, ne faire qu’un avec elle.
S’ensuivent de longues phases de contemplation, d’apaisement… de bonheur, même. Pourtant, la chute n’en sera que plus violente, et les blessures – physiques comme morales – plus profondes encore.
C’est quasi-mort qu’il sera recueilli par ce vieil homme atteint de schizophrénie et sa fille, Carole Mondinot… la fameuse victime présumée de Mancini.

Larcenet continue donc sa descente aux enfers, oscillant entre poésie pure et réalité dure, et livre enfin l’une des premières clés ouvrant la voie vers le dénouement de ce qui sera assurément son chef d’œuvre…
…ou plutôt : un chef d’œuvre, tout simplement.

Blast, Tome 3/4, de Manu Larcenet (ed. Dargaud).

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