– Interview de Marion Montaigne (Tu mourras moins bête) –

Le festival Quai des Bulles fut une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu…

L’auteur du jour sera Marion Montaigne, a.k.a Professeur Moustache, une sacrée p’tite nénette qui mettra tout son savoir – et son humour – à notre service pour nous expliquer le monde qui nous entoure… et nous faire pleurer de rire par la même occasion !

PaKa : Pour commencer, j’aimerais qu’on parle un peu BD… tu en lis depuis que t’es gamine ?

Marion Montaigne : J’ai pas l’impression que j’en ai lu tant que ça. Le truc c’est qu’on avait des BD à la maison, mais je les lisais pas : je regardais que les images, ça me saoulait de lire les bulles. Donc, il y a beaucoup d’albums que je dis avoir lui mais en fait j’ai regardé que les images et j’ai à peu près compris l’histoire. Sinon, culture de base : Schtroumpf, Tintin, Asterix… Le franco-belge classique.
Plus tard, à l’adolescence, j’ai commencé à aimer les trucs que j’avais pas le droit de regarder : je fouinais dans le placard de mes parents pour y trouver du Reiser, du Bretécher, ou du Gotlib… et même si je comprenais rien vu que je lisais pas les bulles, il y avait des nanas à poil et ça, ça me suffisait ! En fait, ça été seulement pendant une courte période, mais ça m’a beaucoup marquée et c’est resté ce que je préférais. Encore maintenant j’adore ce côté trash et charnel, cette façon d’aborder les trucs plus crue. Je trouve que c’est hyper-sensuel comme dessin : quand Reiser dessine une nana avec son gros cul, on sent les chairs, on sent…

Pk : Les poils ?

MM : Oui, oui, voilà ! Et je trouve ça hyper plus vrai, plus proche de la réalité que les super pin-up  qu’on voit partout. Et puis c’est de l’humour noir que j’aime bien, un peu comme l’humour que je peux faire moi aussi.

Pk : On peut dire que ce sont eux, tes références ?

MM : Sciemment, je m’en rends pas forcément compte, mais quand on voit le travail que je fais, je pense que ça m’a marquée. Des fois, je suis sur ma table à dessin, et je me dis : « essaye pas de faire du beau dessin, y en a d’autres qui le font beaucoup mieux que toi, et puis de toute façon ça sert à rien dans ton propos. »
L’important c’est que ça bouge, que ce soit vif, pêchu, et qu’on comprenne ce que le personnage fait… après on s’en fout ! Je cherche à ce que ce soit expressif. On va pas mettre du Bilal, ça servirait à rien.
Après, il y en a qui n’aiment pas du tout mon dessin, et je le comprends tout à fait, mais moi, si y a un truc où je suis super à cheval, c’est plus au niveau du rythme : Blake et Mortimer qui sont en train de sauter, qui font une action très courte, et qui arrivent à faire une bulle de 3 kilomètres… bah, ça m’horripile ! C’est peut-être très bien dessiné, mais ça m’éneeeeeeeeerve ! Voilà, ça, c’est ce qui m’obsède le plus : j’ai pas de soucis esthétiques, mais ça j’ai des soucis de rythme et de dynamisme…

Pk : Tu es venue à la BD via le blog ?

MM : Ah non, je faisais déjà de la BD à côté – La Vie des Très Bêtes, Panique Organique, c’était avant -, mais c’était plus de la jeunesse. A côté, j’avais pas mal de carnets, de trucs que j’avais comme ça sous la main et dont je savais pas trop quoi faire ; donc le blog m’a permis de faire des essais : voir ce qui marche ou non, tenter d’autres choses, tester auprès des lecteurs… Je crois pas que j’aurais osé le montrer tel quel à un éditeur : les premières notes sont un peu laides, il a fallu du temps pour que ça prenne forme, que j’apprenne à mieux me documenter… c’est vraiment né petit à petit.

 

Pk : Et l’idée de base, elle te vient d’où ?

MM : Mais, en fait, je sais même pas d’où c’est venu !
Au départ, j’aime beaucoup les documentaires, et j’aime bien quand je tombe sur une info un peu incroyable – genre on perd 2 kilos de peau morte par an -, et là, je me dis : « Oh nom de Dieu ! J’peux pas rester comme ça, faut que j’le dise ! »
C’est vrai, comment on peut rester sans savoir qu’on perd des kilos de peau morte ou qu’on laisse un litre de transpiration par soir dans nos oreillers !? J’adore ces infos-là, et on peut pas vivre sans savoir ça ! Du coup je les notais toutes, je les gardais de côté, un peu parsemées, mais j’avais vraiment envie d’exploiter tout ça. Et au final, ce blog, c’est un peu comme quelqu’un qui lit un livre ou un magazine, et qui dit : « ah, tu t’rends compte », et qui re-raconte à ses potes, genre : « hey les mecs, j’ai lu un truc, c’est incroyable ! »

Pk : Incroyable, mais vrai ! Et c’est ça qu’est fort, on sent que derrière, tu sais de quoi tu parles !

MM : Je crois que c’est du à un complexe d’infériorité qui me pousse à me dire que c’est pas parce que j’ai pas fait d’études, que je peux pas comprendre. Alors j’adore aller trainer dans des bibliothèques, me documenter… Des fois je m’attaque à des livres auxquels je comprends rien, mais je suis tellement têtue, que je m’acharne ! Et au fur et à mesure, à force de me documenter, de lire tellement de bouquins et d’articles, je recoupe le tout et je finis par comprendre le truc !
Bon, des fois, j’ai des scientifiques qui viennent sur le blog me laisser des commentaires comme quoi ce que je raconte, c’est pas trop exact. [s’ensuit alors une longue discussion sur le cerveau humain et sur l’implication du corps calleux dans l’incapacité des femmes à prendre une décision, NDLR]

Pk : La moustache apporte aussi un coté super-sérieux .

MM : A la base, elle est même pas là pour le côté sérieux : le Prof Moustache sans la moustache, c’est comme ça que je me dessinais dans mes carnets d’étudiante ; mais quand j’ai commencé à faire un blog, je voulais pas du tout parler de ma vie, ni de mon quotidien, donc j’ai eu l’idée de me dessiner avec des moustaches… comme ça je me suis dit que je serai là incognito !
Bon, c’est débile, mais c’est resté. Résultat : les gens ne savent pas pourquoi elle a des moustaches mais quand même des seins ! En même temps, j’aime bien les trucs absurdes.

Pk : Pour passer incognito, c’est râté : t’es devenue une vraie super-star des blogs ! Avec un tel statut, trouver un éditeur n’a pas du être trop difficile, non ?

MM : Haha ! Ca, les éditeurs, ils te le disent pas que t’es une star du blog, sinon ils doivent payer pépettes !
Non, j’ai eu pas mal eu de propositions, mais pour lesquelles je me sentais pas à l’aise… et puis les éditeurs ont du mal à payer quelque chose qui est visible sur le net.
J’avais un peu peur que les lecteurs ne suivent pas forcément, mais apparemment les gens qui aiment bien le blog achètent l’album, l’offrent à leur amis… et puis, il y a ceux qui aiment l’objet : c’est un truc très humain de se l’approprier, de l’avoir sous la main. C’est aussi pour ça que je l’ai fait
Et ce qui était vraiment bien avec Ankama, c’est que c’est une équipe jeune, des gens avec qui je m’entends très bien, qui connaissaient déjà bien mon boulot, et qui étaient très enthousiastes à l’idée qu’on travaille ensemble. Ils connaissaient mon univers et ils savaient comment ne pas le dénaturer, c’est ce qui m’a plu.

Pk : Ce sont eux qui ont eu l’idée de regrouper les notes par thème ?

MM : C’est un truc assez collégial, en fait, pour que ceux qui connaissaient pas le blog ne soient pas trop perdus, que ça ne partent pas trop dans tous les sens : on a essayé de mettre des repères. Mais pour le tome deux, on se donnera plus de liberté, on ne mettra plus en chapitres et ça passera plus facilement d’un truc à un autre.

PK : En suivant tout de même un thème ?
MM : Oui, oui, il y aura quand même un thème : le corps humain. Ca va être trash, et il y aura même un peu de cul… mais du cul scientifique !
Et puis ce coup-ci, on mettra la bibliographie, parce que ce qui est drôle, c’est que ça parait complètement barré, alors que derrière, les références sont hyper-sérieuses.

Pk : Pour le cinéma, les références sont tout aussi sérieuses : on a la fine fleur des années 80/90 !

MM : C’est surtout des films que j’ai vus et revus, que je connais bien, et qui sont déjà des références. Retour Vers le Futur, Star Wars, Terminator… ça a marqué l’esprit des gens. Par exemple, j’ai vu des roboticiens à Jussieu, et la question qu’on leur pose tout le temps c’est « Quand est-ce qu’on aura des Terminator ? »
C’est des références qu’on a tous… et puis c’est sûr que c’est des trucs de trentenaire où j’suis à l’aise. On pensait que c’était ça l’an 2000 ! Les voitures qui volent, l’OverBoard… parce que là, y en a des overboards, mais ils volent pas longtemps, pas loin, pas vite… et ils pèsent 200 kilos ! Personne n’en veut ! Surtout que nous attendait l’an 2000 dans 20 ans… Quand on aura 20 ans en l’an 2001, comme il chantait, l’autre, là. L’an 2000, on a baigné là-dedans ! Alors qu’aujourd’hui, il y a quoi comme films de science-fiction ?

Pk : Alors, tes sujets, tu les trouves en squattant devant ton vieux magnétoscope, ou te fais des petits brainstormings perso’ ?

MM : J’essaye de varier les sujets, donc, au début, ça venait naturellement, mais petit à petit, j’ai un peu épuisé tout ce que je savais. Alors maintenant, je fais des recherches même pour trouver mes sujets. Et comme je fais des note plus rares mais plus longues, je suis plus exigeante, il me faut beaucoup plus de documentation qu’avant où je pouvais faire une note sur un tout petit article…
Là, sur le tome 2 par exemple, je voulais absolument faire un bonus sur la sexualité, et je me suis lu plein d’articles, je suis allée sur des sites qui rassemblent eux aussi des questions un peu absurdes pour trouver des pistes ; c’est pas évident. Et puis il me faut quand même des sujets où je sens qu’il y a un potentiel comique et visuel et assez long : il faut qu’il y ait pas mal de choses à dire pour qu’on puisse déconner dessus et que ça puisse être divisible en BD.

  

Pk : J’imagine que pour le tome sur le corps humain, tu vas trouver pas mal de choses à dire. Et après, un tome 3 ou totalement autre chose ?

MM : Oh, il y a encore de la matière pour faire un tome 3, mais celui-là, ça va être un peu le foutraque : j’y balancerai tout le reste qui rentre pas dans un sujet précis ! Et puis après, je sais pas si je continue le blog comme il est ou si il prend une forme plus simple. Je me pose la question, parce que c’est quand même super chronophage. Et puis des fois, je me dis qu’il faut que je prouve que je suis pas que de la documentation, que du scientifique… Et puis des fois, j’ai aussi envie de faire des one shots… En fait, en ce moment, je me tâte, je sais pas… J’ai le corps calleux qui travaille !

Pk : Mais si tu avais le superpouvoir de convaincre un éditeur de te laisser totale carte blanche, quel serait ton projet fou ?

MM : Je pense qu’il y aurait quand même une base de documentation, pas forcément scientifique, mais je sais pas, peut-être me renseigner sur la vie de quelqu’un, quelque chose comme ça… j’aime trop ça ! Pas une biographie, tu vois, mais m’inspirer de la vie de quelqu’un, je sais pas…
En tout cas, il y aurait forcément un passage à la biblio’, je peux pas m’en empêcher ! Je te refais la bible, ou alors je crée ma propre religion, ma propre secte ! Ou alors, sur les robots, j’ai bien envie. Mais je sais pas, des fois je me dis que c’est super, des fois je me dis que c’est naze… le corps calleux, quoi ?!

Pk : Hé bien Marion, je te laisse batailler avec ton corps calleux et te remercie mille fois pour cette agréable discussion.

* Tu mourras moins bête, de Marion Montaigne (ed. Ankama).

* Tu mourras moins bête, le blog.

* Tu mourras moins bête, la critique.

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