– Interview de Guillaume Bianco (Billy Brouillard) –

Le festival Quai des Bulles fut une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu…

L’auteur du jour sera Guillaume Bianco, auteur de la série Billy Brouillard : de bien beaux livres oscillant entre bande dessinée, conte illustré, ou encore bestiaire ; et mettant en scène un petit garçon à l’imaginaire très développé, un poil macabre… et pourtant tellement poétique !

PaKa : Pour commencer, parlons un peu bande dessinée : tu en lis depuis toujours ?

Guillaume Bianco : Oui, oui, j’ai commencé à en lire quand j’étais gamin : à une époque où il n’y avait pas encore internet, les premières lectures, c’étaient des BD ! Et puis mes parents adoraient ça. Je suis même allé en salon de BD avec eux… J’ai vraiment baigné dedans depuis tout petit, mais dans un milieu où on aimait la bédé un peu de gauche. Donc à la maison, on trouvait plutôt Pif Gadget, plus marxiste que le Journal de Spirou ou Mickey Magazine. Alors c’était Pif, Rahan, tout ça, et puis les classiques qu’on lisait dans les années 80 : Astérix, Lucky Luke… un peu de Tintin, aussi, mais moins. Par contre, je suis carrément passé à côté des trucs comme Métal Hurlant, tu vois ? Ce n’est que plus tard que j’ai découvert les américains, comme Peanuts, ou l’humour à la P’tiluc, Gotlib, Fluide Glacial

Pk : Et maintenant, toujours à fond ?

GB : De moins en moins, curieusement. C’est vrai qu’il y a beaucoup de choses qui sortent, que j’ai pas mal de copains auteurs dont je suis fan, et qu’on me passe toujours plein bouquins, mais je n’ai plus le temps de les lires. Donc, faute de temps, je suis obligé de sélectionner, et c’est malheureux.
Alors, j’écoute les conseils des copains, qui me disent que je dois absolument lire ça ou ça. Dernièrement j’ai découvert Yotsuba, un manga absolument génial, et aussi, sous les conseils de Julien Neel, la série Walking Dead, que j’adore. Pourtant, je ne pensais pas du tout que ce soit le type de BD qui allait me plaire, mais Julien a insisté, il m’a dit de me forcer… et il a eu bien raison ! Du coup, maintenant, je laisse Julien sélectionner.

Pk : Et toi, comment en es-tu venu à faire de la BD ?

GB : J’ai toujours voulu en faire, j’avais un véritable amour pour ça. Petit, en fréquentant les salons, je trouvais ça cool de faire des dédicaces. Pour moi c’était un truc très noble, séduisant… et un peu magique aussi ! Et puis comme tous les parents du monde, les miens me disaient que dessinais bien, ce qui n’était pas vrai du tout : j’avais surtout beaucoup d’imagination. Et puis, pendant mes études, j’étais toujours en train de dessiner, de faire des concours de BD, des trucs en amateurs, comme ça… et là, je rencontre Didier Tarquin qui organisait des ateliers à Hyères. Bon, c’était pas forcément mon style – pour moi, il faisait du réaliste alors que moi je venais plutôt du franco-belge -, mais il nous a appris le métier, il nous a filé des tuyaux… Et puis, des années après, on se retrouve sur Aix en Provence, autour de Christophe Arleston, dans l’atelier Gottferdom où je squattais tous les aprèm. Et un jour, Arleston, qui en avait marre de me voir faire l’imbécile dans leurs pattes, m’a balancé que j’avais un jour pour faire une page qu’il publierait ensuite dans le Lanfeust Mag ! Je l’ai fait : c’était pas très au point, mais il l’a publiée quand-même… et quand on a eu assez de pages, on a mis du carton autour et Boudjellal l’a édité. C’est comme ça que je me suis retrouvé chez Soleil. Après y a eu Will, ou Krashmonsters, mais ça, c’était plus un délire entre copains, un prétexte pour bosser ensemble… Je garde de super souvenirs de bouclage, la nuit chez Tarquin !

 

Pk : Ce qui est étonnant, quand on se penche sur Will  ou Krashmonsters, c’est la différence flagrante avec le trait que tu adoptes sur Billy Brouillard.

GB : Sur Will, je souffrais beaucoup, du point de vue technique. On m’avait dit des conneries comme quoi pour qu’un dessin soit accessible, il fallait vraiment que les traits soient fermés, bien ronds, jolis… et à l’époque, j’y croyais ! Donc, je prenais un pinceau, et je m’évertuais vraiment un faire un trait nickel, bien propre, avec de belles couleurs qui dépassent pas ; mais j’étais vraiment malheureux. Du coup, Julien [Neel] et Barbara [Canepa] m’ont dit qu’il ne fallait pas que je continue comme ça, que je devais soit arrêter, soit me lâcher. Dans les moments de crises, entre deux pages de Will, la nuit, je prenais mon carnet, un peu d’aquarelle ou même du café qui trainait sur la table, je gribouillais façon écriture automatique, et je jetais tout à la poubelle. Mais quand Barbara a trouvé mes p’tits dessins à la poubelle, elle m’a dit que ça, c’était vraiment moi, même si ça me paraissait moins nickel, moins carré. Alors elle s’est amusée à faire des tests, à les placer derrières des cadres de famille un peu baroques qu’elle avait… et c’est vrai que ça rendait vraiment bien ! Sur ce, il y a un pote à moi qui avait une galerie, qui me propose une expo’, histoire de présenter un peu mon taf perso’. Et au vernissage, en voyant Billy Brouillard sous les cadres baroques de Barbara, on s’est dit que j’allais en faire un bouquin… et je me suis fait plaisir, j’ai lâché prise et c’est venu tout seul !

Pk : Et à ce moment-là, tu avais déjà dans l’idée de lui donner cette forme si particulière, entre BD, conte illustré, et recueil de poèmes ?

GB : Suite à l’expo’, quand j’ai accepté de dessiner comme ça, de me laisser aller, je me suis dit que j’allais en faire une BD… et puis après je m’suis dit que, bon, la BD ça me faisait chier, et que j’allais faire des poèmes illustrés… et puis je me suis mis à faire des bestiaires… et à la fin, du coup, je ne savais plus du tout quoi faire ! Mais Soleil  m’a fait confiance et m’a donné carte blanche, alors j’ai pris trois an pour y réfléchir et pour dessiner tranquillement, en prenant mon temps. Je revenais dessus pour le plaisir, pour retrouver cet état dans lequel je suis quand je suis au téléphone et que je fais mes trucs comme ça, au feeling. Au bout du compte, ça a donné tout et n’importe quoi, une espèce de gros chaos ! J’ai donc pensé sortir plein de petits livres autour de Billy Brouillard, mais Barbara et Clotilde venaient de créer la collection Métamorphose – qui correspondait assez bien à l’état de métamorphose dans lequel je me trouvais moi-même -, et elles ont lancé l’idée de faire un beau livre réunissant le tout. Moi, j’avais peur que ce soir insupportable, mais Barbara a fourni un énorme travail de directrice d’éditions : elle m’a aidé à tout agencer pour que ça devienne cohérent, on a enlevé ou ajouté des pages pour trouver une espèce de fluidité et de logique… et ça a donné ce truc improbable ! Ce qui aurait pu être une tare est devenu son identité, son charme !
En fait, j’ai longtemps voulu ressembler à quelqu’un que je n’étais pas, j’ai été malheureux, et c’est maintenant que je me lâche carrément que ça marche… et ça me fait vraiment plaisir : les gens sentent que c’est sincère, spontané, et ils m’aiment comme je suis. Tu vois dans les films américains, quand ils te sortent « be yourself », ça parait stupide, mais en fait c’est vraiment ça !

Pk : Justement, en parlant de films américains, on te compare souvent à Tim Burton, mais ce n’est pas vraiment ce qui te ressemble le plus, non ?

GB : Je ne m’y retrouve pas forcément, c’est vrai. Burton a une fantaisie très particulière, et si on nous compare souvent, c’est sans doute parce qu’on a en commun une grande admiration pour Edward Gorey. C’est quelqu’un de moins connu, mais il a fait beaucoup de scénographie de théâtre et des bouquins vraiment fantastiques. C’est vraiment une référence, pour moi… et pour Burton aussi. Donc l’affiliation avec Burton, pourquoi pas, mais si j’y réfléchis bien, moi mes inspirations, à part la bd franco-belge, ce serait plutôt Quentin Blake, Roald Dahl, ou même Brassens, tu vois ? Ou Tom Sawyer… En fait, ce que j’aime, c’est plus la nostalgie de l’enfance que les monstres ou les p’tites filles aux têtes coupées !

Pk : Et ces monstres et autres têtes coupées, alors, ils sont là parce que c’est un thème qui obsède les enfants ?

GB : Je pense qu’on est multiple, et si j’aime vraiment raconter des conneries, j’ai aussi ce côté torturé et angoissé. Je me pose des questions existentielles et je traine tous ces trucs d’ado’ jamais réglés… J’avais besoin de parler de mes angoisses de la mort, et j’ai exorcisé ça en me dessinant petit.

Pk : Donc Billy Brouillard, c’est toi petit ?

GB : Tous nos personnages sont un peu une partie de nous. J’ai vraiment trouvé mon chat mort dans le jardin quand j’étais petit, j’ai vraiment commencé à avoir des questions existentielles vers cet âge-là : 7-8 ans, c’est l’âge où on découvre sa mortalité, et à l’époque, je n’ai jamais eu personne pour en parler. La mort était un sujet tabou, et comme je n’ai jamais eu d’éducation religieuse ou spirituelle, pour moi, quand on mourrait, on mourrait et puis c’est tout. Du coup j’angoissais de ne pas savoir ce qu’il y avait derrière… et en même temps, c’est quelque chose qui m’a toujours fasciné : au niveau philosophique, la mort est ce qui donne un sens à la vie, qui fait qu’elle est précieuse parce qu’elle est fragile… Elle apporte un coté relatif et te dit de profiter de ce jour à fond parce que c’est peut-être le dernier
Je suis content de voir des gamins de 9 ans, ou même des parents, qui viennent me dire que mon bouquin est vachement bien parce qu’il aborde des questions qu’on n’osait pas poser et qu’il a permis d’en parler. Quelque part, la mort fascine les enfants, donc ils sont contents de voir qu’il y a un petit garçon qui a les mêmes angoisses qu’eux…

 

Pk : Dans le tome deux, il doute de l’existence du Père-Noël, et à la fin, il perd même son don de trouble-vue, qui lui permettait de voir les monstres et les fantômes. L’autre thème de Billy Brouillard, c’est aussi le passage à l’âge adulte, non ?

GB : Oui, le premier tome, c’est la rencontre avec la mort, le deuxième, c’est la foi et le renoncement au monde de l’enfance, et dans le troisième, il portera ses lunettes et ne verra donc plus son monde imaginaire. Mais en allant en vacances chez sa grand-mère, au bord de la mer, il rencontrera une petite fille qui, elle, a su garder une grande fantaisie – elle se prend pour une sirène, tout ça -, et elle lui dira qu’il n’a pas perdu son don de trouble-vue, qu’il lui suffit d’enlever ses lunettes et d’y croire. Mais lui, il a peur : il ne sait pas si il doit les enlever, ni même si il a seulement envie de retrouver son don. Il se demandera s’il peut concilier les deux ou s’il faut qu’il choisisse, s’il peut grandir tout en gardant son âme d’enfant. Et puis il s’ouvrira un peu plus aux autres aussi, il découvrira l’amour, et il se rendra compte que, même sans don de trouble-vue, la nature peut être est merveilleuse…
Mais même s’il y aura ensuite d’autres petits albums satellites autour de Billy Brouillard – des petites comptines, des nouvelles -, celui-ci sera une conclusion : je ne veux pas le tirer en longueur.

Pk : Et à part Billy Brouillard, d’autres projets ?

GB : Le mois prochain sortira le tome 2 d’Eco, avec Jérémie Almanza, une série en trois tomes où on verra les trois étapes de la vie d’une femme : tome 1, l’enfance ; tome 2, l’adolescence, la sexualité ; et tome 3, la vieillesse, la sagesse, la mort. En fait, je raconte toujours un peu la même histoire [rires].
Ensuite, il y aura Ernest et Rebecca, un projet jeunesse chez Le Lombard, avec Antonello Dalena – un ancien de Disney Italie – qui reprendra un peu les mêmes thèmes que Billy Brouillard, mais plus axé grand public, plus franco-belge.
En parallèle, J’ai commencé des animations dans le journal de Spirou  : l’Atelier Mastodonte, une petite expérience où on s’amuse avec des copains. Il y aura plein de guest-stars : à Angoulême, plein de dessinateurs vont jouer le jeu.
Et puis, toujours dans Spirou, avec Lewis [Trondheim], on a Zizi Chauve-Souris. Là, à l’inverse d’Eco, je ne suis qu’au dessin. Moi qui ai du mal à partager le travail, j’avais envie de voir ce que je pouvais donner en n’étant que dessinateur… surtout que je ne me considère pas comme un dessinateur ! Alors je me suis collé avec Lewis, qui est quelqu’un que j’admire en tant qu’homme, que personnage, et qu’auteur. Bon, ça demande encore un peu de réglages, mais on est contents : le but était surtout d’alimenter Spirou, et au final, on a déjà de quoi faire un album !

Pk : Beaucoup de projets dans les cartons !

GB : Et si je m’écoutais, ce ne serait pas tout !
Par exemple, j’aurais envie faire une BD érotico-coquine : un truc que j’avais commencé, un truc d’aventure mais vraiment rigolo, avec une nana qui court à poil dans la forêt et qui affronte un dragon… mais je n’ai pas le temps de m’y coller. C’est dommage, j’aimerais vraiment dessiner des filles à poil, avec des gros seins qui ballotent, mais j’voudrais surtout que ce soit rigolo sans que ce soit vulgaire… et c’est très difficile de pas tomber dans la vulgarité.
Donc, bon, pour l’instant, je me consacre au reste… et c’est déjà beaucoup de boulot !

Pk : Eh bien, bon courage pour ces nombreux projets, merci pour cette agréable discussion, et surtout… be yourself  !

 

Billy Brouillard, de Guillaume Bianco (ed. Soleil – Métamorphose).

NB : le second tome de la série Billy Brouillard  sera bien souvent indiqué comme étant le tome 3, un coffret réunissant trois recueils de comptines ayant été publié entre les deux albums de la série mère.

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