Le festival Quai des Bulles fut une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu…
L’auteur du jour sera Frederik Peeters – auteur des magnifiques Lupus, Pilules Bleues, ou encore Château de sable -, qui s’offre aujourd’hui un retour à la Science-Fiction avec le premier tome d’Aâma, une série haute en couleurs reprenant ses thèmes de prédilection tout en leur insufflant une grande dose d’aventure épique.
PaKa : Comment es-tu venu à la BD ?
Frederik Peeters : Tout de suite, en fait : j’ai toujours fait de la bande dessinée.
Dès 7 ans, j’ai dessiné mes premières BD… et je racontais déjà ma vie, d’ailleurs : je faisais des trucs autobiographiques, et puis au bout d’un moment, je me transformais, je devenais un super-héros, ou quelque chose comme ça… C’était un dessin par page, au stylo bille, avec du texte autour, des bulles, et des ellipses un peu cavalières… Tout était là, il n’y avait plus qu’à agrafer le tout !
Pk : A l’époque, tu lisais quoi ?
FP : Bien sûr j’ai ouvert quelques Spirou, quelques Schtroumpfs, mais mon truc, c’était Tintin. Je suis un monomaniaque de Tintin : je les ai tous lus des dizaines et des dizaines de fois, je les connaissais par cœur… je les redessinais, même. Moi, ce qui m’attire, c’est les histoires, les aventures, les récits construits et les personnages riches ! Avec Tintin, on rentrait dedans, on se perdait dans ses récits…
Pk : Et maintenant, des auteurs dont tu te sens proche, des références ?
FP : Des références ? Non, je n’ai plus vraiment de références, j’en suis sorti et donc j’arrive à lire des choses sans que ça devienne des références, juste parce que j’ai envie de les lire.
De là, je peux lire tout et n’importe quoi : des mangas, des fanzines bien craspecs en photocopie, ou même ces trucs dont tout le monde parle, parce que ça m’intrigue d’y jeter un œil.
Les auteurs qui m’ont le plus marqué sont sans doute des auteurs américains. Pas forcément les auteurs de comics – la bédé américaine mainstream ne me touche pas -, mais des auteurs comme Crumb, Mazzuchelli, Daniel Clowes…
Pk : Des choses très différentes, en effet. Toi-même, dans ta bibliographie, tu t’es essayé à bien des styles – la SF avec Lupus, le policier avec RG, le fantastique avec Château de Sable -, mais à chaque fois, le véritable sujet, c’est le perso lui-même : une sorte d’introspection, son rapport au monde qui l’entoure, au temps qui passe. C’est donc ça, la base de ton œuvre ?
FP : Mais, c’est la base de toute œuvre, non ? Enfin de toute œuvre intéressante ! En tout cas c’est au cœur de toutes les choses qui me plaisent.
Pk : Du coup, Lupus, qu’on pourrait appréhender comme un space-opéra, sera finalement plus proche d’un Solaris que d’un Star Wars.
FP : Ah mais j’ai rien contre Star Wars, c’est juste que si je regarde ça aujourd’hui, ça ne me satisfait plus. C’est trop de grosses ficelles, et justement, les perso’ ne sont pas intéressants : ils sont tous affreux, en fait, dans Star Wars. Mais encore une fois, je n’ai rien contre l’action et le spectaculaire, je trouve qu’il faudrait juste réussir à marier les deux, parce que ça, c’est trop rare !
Pk : Justement, avec Aâma, tu t’offres un retour à la SF, mais loin d’être une redite, ce serait plus une sorte de contre-pied à Lupus : l’apparition de la couleur, un trait plus fin…
FP : Ah non, le trait plus fin, ça vient principalement d’une donnée technique : je bosse exactement de la même façon qu’avant, avec les mêmes outils, sauf que sur Lupus, les planches étaient dans un format un peu plus petit que du A3, alors que pour Aâma, je travaille sur du A2. Avec ces planches énormes, on a de très grandes cases originales, et il faut remplir tout ça : on ne peut plus suggérer, je mets du détail partout. Aâma est un bouquin plus ambitieux, plus foisonnant, et bien plus complexe que ne l’était Lupus.
Pk : Et avec plus d’action aussi ! Parce qu’avec un personnage comme le robot-singe-ninja…
FP : Haha ! Et encore, là, c’est que le début ! C’est uniquement pour mettre l’eau à la bouche !
Pk : C’est vrai que malgré le côté très dense et très riche de ce premier tome, tu ne lâches rien : on sent que tu as encore énormément de choses à dévoiler ! Tu comptes nous tenir en haleine sur combien de tomes ?
FP : Il m’en faut au minimum 4 pour réussir à boucler mon histoire, mais je peux en faire beaucoup plus ! Ca va dépendre de ma lassitude et de l’intérêt des gens pour la série… Personnellement, j’aimerais y mettre énormément d’investissement, énormément d’énergie, ne faire que ça… faire un truc vraiment ambitieux !
Ta comparaison avec Lupus est assez judicieuse : Aâma, c’est un peu l’autre côté de la médaille, un côté plus lumineux, plus construit, et plus classique… Lupus retournait les codes du genre comme une chaussette, alors que là, j’assume à fond : une vraie intrigue, de l’action, et une SF décomplexée où les héros ne font pas du café dans une cafetière italienne !
Pk : On trouve quand-même un coté retro, dans ta SF, non ? A voir leurs coupes de cheveux ou leurs fringues, certains personnage ont un look plus dans le style Renaissance que futuriste…
FP : Ah oui, carrément, mais ça, c’est la SF que j’aime ! Et puis, la mode ne fait que tourner : finalement, Dark Vador, c’est un samouraï… et ça marche pour toute la SF ! Le fait est que celle que je préfère, c’est la SF des années 60-70, celle de Stanislas Lem. Tu parlais tout à l’heure de Solaris, je l’ai lu trois fois ! Il faut le lire absolument, c’est magnifique… et bien plus intéressant que les films ! Mais tout Stanislas Lem est magnifique, c’est de la poésie pure.
Pk : Une poésie présente aussi dans Aâma, car malgré l’approche « grande aventure épique », on y retrouve également toutes tes thématiques ; ainsi que ce type de construction qui t’es chère : ce côté contemplatif, ces grandes cases sur lesquelles on s’attarde pour ralentir le rythme…
FP : La construction – comment on rythme l’histoire, comment la découper – c’est ce qui m’intéresse le plus, et c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur, même quand je travaille avec un scénariste. Sur Aâma, plus de contemplation serait peut-être nécessaire, mais il y a encore des réglages à faire, des boulons à serrer…
Pk : C’est pour ça que tu tiens en parallèle ce blog entièrement dédié à Aâma (click) ? Pour travailler au développement de ton univers, ou, à l’instar de ton personnage et son carnet, serait-ce une sorte de mémoire, de garde-fou ?
FP : Sur mes bouquins précédents, je n’avais jamais bossé comme ça. En général, je ne fais pas de recherches, sur des personnages ou quoi que ce soit, je ne monte pas de dossier derrière. Et puis je m’suis dit : allez, on fait de la bédé SF à fond, on va faire des recherches ! Alors forcément, il y a un moment où ça part un peu dans tous les sens, mais en fait c’est la recherche de l’accident. Plein de choses sont totalement superflues et ne seront jamais utilisées, ce sont juste des pistes, du dessin téléphonique, imprévu et exécuter sans réfléchir ; mais peut-être qu’un de ces croquis va déboucher sur une idée, pourquoi pas même faire bifurquer le scénario !? Et c’est ça qui m’intéresse avec ce blog, l’accident.
C’est un peu un carnet de bord, aussi : des fois sur mes albums précédents, on me demandait d’où venait telle ou telle chose, que voulait dire ce nom, qu’est-ce qui m’avait donné cette idée…? Hé bien souvent, j’avais oublié tout ça. Mais là, ça m’intéresse de m’en rappeler, et le fait de le fixer, je sais d’où viennent les choses, je sais le chemin par lequel j’suis passé.
Mais l’analogie avec le carnet de Verloc est marrante, parce que lui, il vit dans un futur lointain et il écrit sur son carnet en papier, alors que moi, je suis là, dans le présent, et j’écris sur un blog internet…
Pk : Avec son côté obstiné à refuser des implants bioniques, son amour pour les livres en papier… moi, je le trouve assez touchant, Verloc.
FP : Haha ! Moi, j’le trouve très chiant !
Si tu te places du point de vue de la société dans laquelle il vit, il est très chiant : c’est un vieux con, un vieux réac’ !
Pk : Alors je suis aussi un vieux réac’, parce que bon : moi, lire des livres via un écran…!
FP : Ah, mais moi aussi : on est tous des vieux cons, et ça, bah, c’est juste une extrapolation de notre situation dans le futur…
Regarde, tu dis que tu aimes le papier, mais t’écris sur internet, tu nous enregistres avec ton p’tit appareil électronique… Tu vois, c’est pas si simple. Mais le personnage n’est pas simple, et ça tu le verras par la suite : il va devoir faire face à ses contradictions. Et par la suite… non, je vais pas te révéler la suite ! Juste que son point de vue, son rapport au monde, va être bouleversé…
Pk : Et cette suite, elle est prévue pour quand ?
FP : Dans un an, maximum. J’ai déjà 28 pages du tome 2.
Et la grosse différence avec mes projets précédents, c’est que là, rien ne va venir s’intercaler : plus rien d’autre à côté, pas de bouquin croisé ni aucun autre boulot externe… Je suis à 100% sur Aâma : c’est totalement immersif, je deviens obsessionnel… et c’est vraiment que le début. Pas en terme de quantité, mais en terme d’intensité ! Je suis complètement dedans et je me réjouis !
Pk : Du Aâma jusqu’à la fin de ta vie ?
FP : Ah non, non, non : ce n’est pas un truc à tiroir ! Il y a un but à tout ça, un propos. Ca va quelque part, et ça, ça exclue pas que ça ne se finisse pas… Même s’il n’y a pas de scénario écrit, que tout se fait au fur et à mesure, et que j’ai le luxe d’avoir un éditeur qui me laisse une grande liberté ; je sais exactement où je vais !
Pk : Alors nous serons patients… et impatients !
Merci Frederik pour cette agréable discussion, et à bientôt.
Aâma, de Frederik Peeters (ed. Gallimard).
Chouette ce partage, succulent même… merci. Ça cloue le bec ou cela affine certaines suppositions que j’avais faite en suivant le blog dédié à Aama
Il me reste à passer au stade de la lecture de ce nouvel album qui m’attend sagement 😉
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petite question qui peut paraitre etrange: où est ce que je pourrai trouver le t-shirt qu’on voit dans la 1ere photo de cette itw de Frederik Peeters ?
celui avec le singe (Churchill?) de Aama …
Je me pose la même question que GAL !?