– L’amour, la mort, les fringues –

Chalut les humains,

Si les critiques des dernières sorties cinéma sont en retard sur Angle[s] de vue, c’est que mon maître bien-aimé, le dénommé Boustoune, a un agenda plutôt rempli. Ces derniers temps, quand il n’est pas dans les salles obscures à voir les films, il fréquente les théâtres… Officiellement pour voir des spectacles d’intérêt culturel. Officieusement, selon mon collègue PaKa et moi, pour que ce coquinou puisse voir en chair et en os, mais surtout en chair,  de belles comédiennes.
Tenez, la semaine dernière, il s’est rincé l’oeil avec les formes opulentes de ces demoiselles du Cabaret New Burlesque… Oh, bien sûr, il s’en défend : blablabla ce sont les actrices de Tournée, et blablabla, le festival de Cannes, et blablabla Amalric. Bref, que sa présence au spectacle était exclusivement guidée par une curiosité intellectuelle et culturelle… Mouais…

Cette fois-ci, il a assisté à une représentation de L’amour, la mort, les fringues. S’il était là, je parie qu’il vous dirait qu’il est allé voir cette pièce juste parce qu’elle a été écrite par Delia et Nora Ephron, deux soeurs écrivaines et scénaristes de film. (On leur doit notamment les scripts et/ou la réalisation des comédies romantiques dont Meg Ryan était la vedette dans les années 1990, Quand Harry rencontre Sally, Nuits blanches à Seattle, Vous avez un mess@ge…).  Il ajouterait que c’est Danièle Thompson, réalisatrice de Fauteuils d’orchestre ou de La bûche qui est aux commandes de cette adaptation française. 
Mais la vraie raison, c’est qu’il y est allé pour voir de près toutes ces comédiennes qu’il admire :  Bernadette Lafont, Caroline Proust, Valérie Bonneton et Karin Viard.

Quand il est rentré de la représentation, j’ai quand même voulu recueillir ses impressions (oui nous les chats, nous sommes curieux) et tenté de savoir s’il avait aimé ou non. Pour seule réaction, j’ai eu droit à un sourire béat et un “Gngn…didinepéllasse”.
Ah oui, j’ai oublié que dans la troupe de comédiennes, il y avait aussi sa chouchoute Géraldine Pailhas. On a beau lui dire qu’elle est quand même très mariée avec Christopher Thompson, rien n’y fait. Quand il la voit, il fond littéralement, a les yeux qui pendent et la langue exorbitée – ou plutôt l’inverse -  comme le loup de Tex Avery et il perd tous ses moyens…
“Gn gn rhâlovely dinepéllasse”

Bon, les amis, puisque vous attendez la critique de la pièce, il va falloir que je m’y colle. 
Pour financer l’achat de mon billet – le Théâtre Marigny, c’est sur les Champs-Elysées, donc pas franchement bon marché… – j’ai escroqué une vieille bourgeoise en lui faisant passer quelques touffes de mon pelage pour une fourrure de vison, une affaire à saisir de toute urgence, en soldes. Hmm, pas de quoi être fier, d’accord, mais vu le sujet de la pièce, l’ironie de la chose est délectable… 

Car L’amour, la mort, les fringues, comme l’indique son titre parle des choses de la vie – l’enfance, la vieillesse et la mort, les sentiments, de brèves liaisons en grandes histoires d’amour, les vicissitudes du quotidien… – mais aussi et surtout de vêtements et du rapport des femmes à leur apparence…

Ne vous attendez pas à une intrigue à proprement parler. Si la pièce s’articule bien autour d’un fil conducteur – les souvenirs d’une septuagénaire racontant les diverses étapes de sa vie à travers les vêtements suspendus dans sa penderie et dans sa mémoire – elle s’apparente plutôt à une anthologie de plusieurs petites histoires sans lien les unes avec les autres, si ce n’est de parler d’états d’âmes liés à un objet en particulier, ou de croquer avec humour les petits rituels d’habillage. 

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Niveau mise en scène, le dispositif est assez sommaire, en apparence du moins : Dans un décor évoquant un dressing-room, les cinq actrices sont assises côte-à-côte, face au public, comme dans Les monologues du vagin
Un i-pad sur les genoux, elles lisent une trentaine de textes plus ou moins longs qui correspondent à autant de tranches de vie et de variations fétichistes autour des fringues. 
On a un peu peur, au départ, que ce parti-pris minimaliste ne s’avère répétitif et ne suscite rapidement l’ennui.
D’autant que les comédiennes lisent plus qu’elles ne jouent ces partitions. Conséquence d’un temps de répétitions très court, deux semaines seulement, et d’un passage très éphémère sur scène (1), elle ne connaissent pas leur texte par coeur et sont obligées de régulièrement baisser les yeux vers leur tablette numérique (2), ce qui hache le rythme de la lecture.

Mais on se laisse vite emporter par le texte et cette multitude de petites anecdotes drôles ou émouvantes, et souvent les deux en même temps : une femme se souvient, des trémolos dans la voix, d’un vêtement ayant appartenu à sa mère aujourd’hui disparue, une autre se rappelle des chaussettes affreuses, soi-disant “à la mode”, que sa mère l’avait contrainte à porter, et qui ne lui avaient attiré que des quolibets, y compris de la part du garçon dont elle était amoureuse, une troisième se rappelle d’un soutien-gorge qu’on lui a offert alors qu’elle allait devoir se faire opérer d’un cancer du sein, une quatrième évoque la perte de son T-shirt préféré et celle, au même moment, de l’ex-homme de sa vie, etc…
Ces petites tranches de vie sont rythmées par des passages chorals sur un thème imposé : la cabine d’essayage, la couleur noire, le “j’ai rien à m’m’ettre” de la femme des penderies, le matin, face à son miroir…

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Au fil des minutes,  les comédiennes se lâchent un peu, lisent moins leurs textes et donnent même l’impression de se risquer à improviser certaines répliques, si l’on en juge des fous rires que piquent leurs consoeurs sur scène.     
On se laisse séduire par l’énergie de Bernadette Lafont, par la douceur de Caroline Proust, par la sensualité de…
“Râââldinepéllasse”
Bon, ça va, on a compris… Il faut nous laisser maintenant…
Et donc, par la sensualité de Géraldine Pailhas…

Mais celles qui emballent le public grâce à leur punch et leur verve comique, celles qui tirent ce spectacle vers le haut, ce sont indéniablement les irrésistibles Valérie Bonneton et Karin Viard.
La première nous fait pouffer de rire quand elle se pose une question métaphysique sur le pourquoi d’un pull à col roulé sans manches – “Il faut savoir! Soit t’as chaud, soit t’as froid” ou quand elle parle du dilemme auquel sont confrontées toutes les femmes : porter des chaussures élégantes et souffrir le martyre ou porter des sandales Birkenstock et en assumer les conséquences tuent-l’amour…
La seconde, elle, nous chauffe les zygomatiques quand elle raconte que le plus beau compliment qu’un homme lui a fait, c’est de la comparer à une “assiette de crudités” ou quand elle se lance dans l’exploration archéologique d’un sac à main féminin. Un grand moment…

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Au final, il ne s’agit pas d’une pièce inoubliable ou d’un chef d’oeuvre du théâtre contemporain, c’est sûr. Mais l’ensemble est sympathique, plaisant à suivre grâce à l’abattage des cinq comédiennes.
Un bémol, pourtant : le prix à payer pour assister à cette représentation dans de bonnes conditions. Pour pouvoir admirer les expressions sur les visages de ces cinq jolies femmes, il faut privilégier des places de catégorie qui coûtent la bagatelle de 50€… Pour une paire d’escarpins de chez Christian Louboutin (3), ce serait donné, mais pour une lecture de textes dans un décor unique, c’est exagéré… 
Les mauvaises langues pourraient dire qu’on aurait le même spectacle, en version longue, simplement en se postant dans un centre commercial, et cela ne coûterait pas un rond… Pas faux, mais ce n’est quand même pas tous les jours qu’on peut parler chiffons avec cinq actrices de cette classe-là…   
On suggère à Monsieur Pinault, propriétaire du théâtre et membre du top 100 des plus grandes fortunes mondiales, d’organiser une période de soldes sur les billets. Cela lui permettrait de concrétiser ses beaux discours sur l’accès de la culture pour tous et de faire des heureux parmi les amateurs de théâtre les moins fortunés…
 
Boustoune, tu veux rajouter quelque chose ? Un mot de la fin, peut-être? 
”Gn… gn… gn…naldinepéllasse…”
Bon OK, laisse tomber…

Les humains, je dois vous laisser. Apparemment, ma fausse fourrure fait fureur chez les vieilles peaux, et les commandes se multiplient. La vérité si j’mens, je dois aller négocier mes touffes de poils avec des manufactures du Sentier…

Pleins de ronrons,
Scaramouche 

Sacramouche, la mort, les fringues

(1) : La distribution changera tous les mois. En février, ce sont Ariane Ascaride, Géraldine Nakache, Miou-Miou, Pascale Arbillot, Sylvie Testud qui prendront le relais. Puis, en mars, Sylvie Vartan, Marie Denarnaud, Mathilde Seigner, Tonie Marshall et Chloé Lambert
(2) ; D’ailleurs, était-ce bien indispensable, cette utilisation des tablettes graphiques? Cela ressemble plutôt un grossier placement de produit pour la marque à la pomme, que ne fait que confirmer la référence à l’iphone glissée dans une des répliques. Cette méthode est de plus en plus courant au cinéma, d’accord, et on peut à la rigueur le justifier en se disant que cela permet de disposer d’un budget plus conséquent pour du matériel, des décors, des effets spéciaux… Mais ici, quel intérêt? Vu le prix des places et le minimalisme des décors, c’est très discutable…   
(3) : placement de produit (bis). Les cinq comédiennes sont chaussées des célèbres escarpins à semelles rouges…

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L’amour, la mort, les fringues de Nora et Delia Ephron.
Adaptation & mise en scène de Danièle Thompson.
du 11 janvier 2011 au 30 juin 2011
Théâtre Marigny, salle Popesco.

3 Comments

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  2. Je suis allée voir la pièce hier et j’ai eu la même désagréable impression concernant les tablettes : elles ne donnent jamais l’impression de lecture mais passent comme un prompteur pour ces actrices qui n’ont pas l’air de connaître leurs textes. De plus, vu le prix et vu l’affiche, on pouvait attendre mieux que ces actrices qui butent sur les mots pour les unes ou tournent les pages pour les autres.. Très décevant, dommage car le texte est vraiment bien ….

  3. Dur dur, je viens de relire et plein de fautes de saisie portable(saisie predictive): « passe comme un prompteur » et « on pouvait attendre mieux que ces actrices qui buttent sur les mots ». Serait il possible de le modifier avant publication? Merci

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