A la dernière Berlinale, Refroidis a glané la réputation d’une comédie assez irrésistible. Pourtant, le récit démarre dans une ambiance glaciale, à plus d’un titre : Un plan montre un chasse-neige déblayant une route. Un autre des truands qui kidnappent deux jeunes hommes. L’un d’eux parvient à s’échapper, mal en point. Le second est tué par overdose d’héroïne et abandonné sur un banc public. On apprend qu’il était le fils du conducteur du chasse-neige, Dickman (Stellan Skarsgaard).

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La police conclut à une banale overdose et classe l’affaire. Mais Dickman n’y croit pas. Son fils ne se droguait pas, et n’avait aucune raison de se trouver en ville, à des kilomètres de chez lui. L’ami de son fils, qui a survécu, lui raconte toute l’affaire. Il a entraîné la victime à participer à un deal de cocaïne qui, hélas, a mal tourné, et ils ont subi la vindicte d’un gang de narcotrafiquants redoutables.
Dickman décide alors de remonter la filière et de buter un à un tous les maillons qui ont participé à la mort de son enfant unique, du simple exécutant jusqu’au grand chef.

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Les séquences s’enchaînent selon la même mécanique, froide et sèche : Dickman repère sa proie, l’intercepte, lui fait avouer qui est son supérieur hiérarchique et la zigouille assez brutalement. Un panneau indique alors le nom, le surnom et la religion de la victime.  Et hop, au suivant…
Très vite, on se demande comment le film va pouvoir tenir la route en répétant ce motif sur près de deux heures. Et on se demande ce que peut bien avoir de léger et comique cette histoire de vengeance implacable.

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Mais effectivement, le ton ne tarde pas à changer, avec l’apparition du leader du gang, sorte de clone nordique de Julien Doré. Un type à la fois dangereux et grotesque, qui essaie de gérer ses affaires mafieuses tout en veillant à l’alimentation de son fils – cinq fruits et légumes par jour, c’est important – et qui est capable de tuer un homme sur un coup de sang, tout en étant incapable de tenir tête à sa future ex-épouse, qui le harcèle avec des détails de la procédure de divorce. Le film assume alors un virage vers l’humour noir décalé, dans la lignée du Fargo des frères Coen ou du Pulp fiction de Tarantino, ou encore de Un chic type, le précédent film du cinéaste.

On y croise un politicien centriste opportuniste, des truands philosophes qui réfléchissent aux différences entre les états nordiques et les pays du sud de l’Europe, des mafieux serbes qui vantent le confort des prisons norvégiennes, un tueur à gages qui se fait appeler “le chinois” mais qui est en fait danois et japonais. Mais aussi des gros durs qui découvrent les joies des sports d’hiver, un repenti qui disserte sur les surnoms donnés aux truands et un gamin très mûr pour son âge, mais qui a toutefois besoin qu’on lui lise une histoire pour qu’il s’endorme – A défaut, des prospectus sur les chasse-neige peuvent faire l’affaire…

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Tous ces éléments mis bout à bout, et plaqués sur cette  vengeance implacable, font évoluer le film vers tout autre chose que le vulgaire “vigilante movie” que son scénario laissait craindre. En fait, avec finesse et humour, le cinéaste livre une réflexion assez subtile sur l’idée de “civilisation”.
Si le personnage principal est chargé de déblayer les routes enneigée, c’est pour relier leur village à la grande ville la plus proche, la nature sauvage à la “civilisation”. Mais évidemment, cette idée n’est qu’un leurre. Car, en ville comme à la campagne, dans les pays du sud comme dans les pays nordiques, dans les systèmes libéraux comme dans les systèmes rigides, les aspects les plus vils de l’âme humaine finissent toujours par ressurgir, menant les individus à leur perte.
Les hommes sont faibles et vulnérables. Ils ont beau jouer les gros durs, sortir les flingues et exécuter froidement leurs semblables, ils restent totalement dérisoires et insignifiants. La nature humaine s’écrase forcément face à la Nature “sauvage”, imposante et majestueuse.

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Certains trouveront peut-être le film trop “sous influence” ou trop “léger”. Il est clair qu’il ne révolutionne pas le genre et ne laissera pas des souvenirs impérissables. Mais l’ensemble fonctionne bien. Refroidis possède assurément toutes les qualités pour séduire un large public, comme il a su séduire le public de la Berlinale et du festival du film policier de Beaune, où il a d’ailleurs remporté le Grand Prix.

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Krafidioten / In order of disappearance

Réalisateur : Hans Petter Moland
Avec : Stellan Skarsgard, Bruno Ganz, Pål Sverre Valheim
Hagen, Kristofer Hivju, Birgitte Hjort Sørensen
Origine : Norvège
Genre : cadavres exquis
Durée : 1h56
date de sortie France : 24/09/2014
Note :
Contrepoint critique : Studio Ciné-Live

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