Vous rêviez de grands films pour la 74ème Mostra de Venise? Eh bien pour commencer la quinzaine des projections, vous allez devoir remettre en cause votre échelle de valeurs puisque dans Downsizing, le nouveau film d’Alexander Payne, ce qui est “grand” est devenu très surfait. La mode est au “petit”, au “mini”, depuis qu’un scientifique norvégien a inventé une machine capable de rapetisser les êtres vivants. Cela n’empêche pas le cinéaste de traiter de “grands” thèmes, ancrés dans une actualité brûlante (la surpopulation, la surconsommation, les désastres écologiques qui menacent la planète, les flux de migrants…), ni les acteurs de faire de grands numéros de cabotinage (Celui de Christoph Waltz, notamment, qui est une fois de plus épatant en voisin de palier serbe, noceur et un brin filou). Sur la forme, le film oscille entre le mastodonte de S.F.  hollywoodien au casting trois étoiles (Matt Damon, Kristen Wiig, Udo Kier et Christoph Walt, donc), le petit film Art & Essai engagé et le mélodrame aux grosses ficelles larmoyantes. Alors petit ou grand film ? Ni l’un ni autre. Pas un chef d’oeuvre du septième Art, mais pas un nanar non plus. Downsizing est une oeuvre solide, sympathique, assez réussie, qui a le mérite de faire réfléchir le spectateur à des solutions alternatives aux modèles économiques fondés sur la croissance. (Lire notre critique)

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De toute façon, grand ou petit film, cela reste purement subjectif. L’important, dans un festival de cinéma, c’est de proposer des oeuvres qui ouvrent les regards des spectateurs sur d’autres pays, d’autres cultures, qui sensibilisent à des sujets de société, des films qui suscitent le débat et incitent à la réflexion, ou des métrages qui permettent à leurs auteurs d’expérimenter de nouvelles voies narratives, visuelles ou sonores.
Justement, il y a un peu de tout cela dans Samui song, présenté en ouverture des Giornate degli autori. Le nouveau long-métrage du thaïlandais Pen-ek Ranatruang entremêle drame intimiste, critique sociale et trame de film noir au sein d’une structure scénaristique tout aussi riche et complexe.
Le film débute par un accident de voiture de nuit, sur une petite route. Légèrement blessée, Viyada, une actrice de soap opéras thaïlandais, est emmenée à l’hôpital pour être soignée. Là, elle rencontre Guy Spencer, un beau parleur qui essaie de lui escamoter son étui à cigarettes. Pour passer le temps, elle lui raconte les circonstances de son accident et lui parle de ses problèmes de couple. On comprend que son mari, Jérôme, un français installé en Thaïlande, est tombé sous l’emprise d’une secte locale, et qu’il est depuis devenu violent et menaçant. Guy, qui a besoin d’argent pour payer les soins de sa mère malade, lui propose de s’occuper de manière radicale de son problème, moyennant une forte somme. Acculée, Viyada accepte le marché. Mais, comme dans tout bon film noir, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme prévu et vont contraindre les deux complices à prendre la fuite, chacun de son côté…
Pour le spectateur aussi, les choses ne vont pas se passer comme prévu, car Pen-ek Ratanaruang s’amuse avec les ficelles de sont récit et joue avec les codes du film noir. Il change de rythme, de ton, de cap et même d’actrice au gré des séquences, finissant par semer le trouble dans l’esprit du spectateur. Quel est le vrai personnage principal du récit? Qu’est-ce qui est du domaine du réel ou du fantasme? Est-ce un rêve? Un film dans le film? Mais ce trouble, paradoxalement, s’accompagne d’une grande cohérence narrative, qui permet au cinéaste de dresser un portrait sans fard de la société thaïlandaise contemporaine, partagée entre ouverture à l’Occident et culture traditionnelle thaï, et gangrenée par les faux-prophètes qui profitent de ces tiraillements. Et surtout, cette construction particulière permet au cinéaste de rendre hommage à ses maîtres, d’Hitchcok à Bunuel, tout en affirmant sa propre patte d’auteur. On peut trouver le résultat un peu bancal, mais le cinéaste a le mérite de cultiver son style singulier, oscillant entre un cinéma Art & Essai pur et dur et un cinéma plus populaire. En somme, un “petit” film qui a tout d’un “grand”…

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On espère que les festivaliers qui ont découvert Nico, 1988 de Susanna Nicchiarelli, en ouverture de la section Orrizonti, auront eux aussi été un peu déroutés ou intrigués. On peut raisonnablement avoir quelques doutes, le biopic étant un genre laissant assez peu de liberté créatrice aux cinéastes. Au moins auront-ils pu apprécier la performance de Trine Dryholm dans le rôle-titre. Auréolée d’un Ours d’Argent de la meilleure actrice à Berlin l’an passé, l’actrice suédoise possède l’aura et le talent nécessaires pour redonner vie à la muse d’Andy Warhol et du Velvet Underground.

A demain pour la suite de ces chroniques vénitiennes, avec, on l’espère, encore plein de petits et de grands plaisirs cinématographiques.

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