Ca y est, c’est la rentrée des classes…
Pour certains enfants et certains enseignants, c’est un moment attendu avec impatience. C’est l’occasion de retrouver les copains de classe/les collègues, d’apprendre/d’enseigner plein de nouvelles choses, de vivre de beaux moments collectifs. Pour d’autres, en revanche, c’est la déprime garantie.
Pour ceux-ci, on prescrit volontiers une petite séance de Monsieur Lazhar, un film qui tombe à point nommé pour leur montrer qu’il y a bien pire ailleurs que dans leur classe, et leur rappeler que l’école est un formidable lieu de vie et d’apprentissage.

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Le film de Philippe Falardeau, adapté d’une pièce d’Evelyne de la Chenelière (1), tourne en effet autour d’une école primaire et d’un groupe d’élèves en particulier, traumatisés par un évènement aussi tragique qu’inattendu, le suicide par pendaison de leur institutrice, dans leur salle de classe.
La directrice essaie de faire face à ce drame comme elle le peut. Elle commence évidemment par faire appel à une psychologue pour prendre en charge les jeunes enfants, fait repeindre la salle de classe, comme si quelques couches de peinture fraîche allaient pouvoir dissiper le souvenir de l’enseignante se balançant au bout d’une corde…, et se met en quête d’un remplaçant à la disparue.
Hélas, le ministère n’a que peu de remplaçants disponibles et ceux-ci ne sont pas spécialement emballés à l’idée de prendre en charge une classe de gamins en état de choc et encore moins de s’installer sur la chaise de la défunte…

Mais le l’hasard fait bien les choses. Un homme se propose spontanément pour prendre le poste vacant. Il se nomme Bachir Lazhar. Il prétend avoir été enseignant pendant plusieurs années à Alger, avant de devoir fuir son pays lors de la guerre civile des années 1990 et de demander l’asile politique au Québec. La directrice rechigne un peu, mais comme elle n’a personne d’autre sous le coude, elle décide d’engager ce renfort providentiel.

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Très vite, Bachir se rend compte que l’enseignement au Québec diffère de celui qu’il a reçu et prodigué.
Les élèves ne sont pas alignés en rangées bien droites, mais en arc-de-cercle, une façon de favoriser l’esprit de groupe, pour les théoriciens locaux, mais aussi la porte ouverte à l’indiscipline et au chaos. Et comme il comprend qu’il n’a même pas le droit d’asséner la plus petite tape au plus turbulent de ses élèves, il décide de revenir illico à cette bonne vieille organisation.
De même, il ne cherche pas à s’imprégner des techniques d’enseignement modernes dispensées dans l’établissement, mais revient aux fondamentaux. Sa priorité, l’apprentissage correct de la langue française à ses jeunes élèves. C’est vrai, quoi, on essaie de leur apprendre l’anglais alors qu’il ne maîtrisent déjà pas le français, qui est pourtant l’un des éléments clés de l’autonomie québécoise. Hop! Retour aux textes classiques : Balzac, Molière et les autres, en s’adaptant toutefois au niveau de ses élèves…

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Les gamins et leurs parents sont d’abord réticents à ces méthodes d’un autre temps, mais Bachir réussit peu à peu à s’imposer au sein de l’établissement, en gagnant notamment la confiance des enfants et en les aidant à surmonter les épisodes traumatisants subis juste avant son arrivée.
En leur apprenant à lire, à écrire, à parler en public, l’instituteur leur apprend à s’exprimer et à communiquer les uns avec les autres. C’est en écrivant un beau texte sur la violence, en même temps qu’une déclaration d’amour à “son” école que la jeune Alice (géniale Sophie Nélisse (2)) va réussir à surmonter son chagrin et aller de l’avant. Et c’est au cours d’une discussion entre Bachir et ses élèves que le petit Simon, élève turbulent qui se sent coupable du suicide de l’institutrice, parviendra à se libérer de ce poids…

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Mais, et c’est là où le film gagne en profondeur, la relation entre Bachir et ses élèves va aussi être bénéfique pour le professeur et l’aider à surmonter ses propres démons. Car si Monsieur Lazhar incite ses élèves à s’exprimer pour effectuer le travail de deuil, il peine à s’appliquer les mêmes méthodes, préférant taire son passé douloureux en Algérie, que l’on découvre peu à peu, au fil du film,  et intérioriser son chagrin. En aidant ses protégés à panser leurs blessures psychologiques, il finira par soigner sa propre douleur, encore à vif après des années d’exil. Cela se fera, là encore, par le biais de l’expression et des subtilités de la langue française,  avec une fable ayant pour thème imposé “l’injustice”. Un texte magnifique, émouvant sur les liens entre un arbre majestueux (le professeur) et les chrysalides venues s’abriter sous ses branches (ses élèves, sur le point de déployer leurs ailes), qui explique pourquoi l’instituteur a eu envie de s’occuper de ces élèves fragiles et de les protéger contre les épreuves de l’existence…

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Le film est à l’image de cette fable, une oeuvre en apparence toute simple, émouvante et poétique. Une oeuvre qui trouve le ton juste, entre comédie et drame, sans pathos, sans effets de mise en scène alambiqués, en s’appuyant juste sur la force intrinsèque du récit et sur le jeu des comédiens. Tous sont impeccables, tant les enfants (Sophie Nélisse, Emilien Néron, Marie-Eve Beauregard, Seddik Benslimane…) que les adultes, à commencer par Fellag, parfait dans le rôle-titre, avec ce qu’il faut de dignité et d’émotion contenue, et Brigitte Poupart, que l’on avait déjà remarquée dans Congorama, un des précédents films du cinéaste.
Puisqu’on parle des précédents films de Philippe Falardeau, il convient de préciser que Monsieur Lazhar ne possède pas le petit grain de folie qui faisait le charme de Congorama, donc, ou de La moitié gauche du frigo. Mais le cinéaste réussi parfaitement son challenge : se réapproprier l’oeuvre d’Evelyne de la Chenelière en y projetant ses propres obsessions sur l’identité, l’exil, les vicissitudes de l’existence, et en faire un film délicat, à la fois intemporel et contemporain.

Si on devait nous aussi composer une fable sur l’injustice, comme Bachir Lazhar et ses élèves, on écrirait que l’injustice, pour ce joli film, serait de passer inaperçu en cette période de rentrée scolaire et de ne pas rencontrer son public. Et on souhaiterait très fort qu’une telle injustice n’arrive pas…
Vous savez ce qui vous reste à faire…

(1) : “Bashir Lazhar” d’Evelyne de la Chenelière
(2) : La jeune actrice a remporté le Génie de la meilleure actrice dans un second rôle (l’équivalent de nos César au Canada…). Le film a gagné cinq autres récompenses majeures lors de cette cérémonie : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure adaptation, meilleur montage, meilleur acteur pour Fellag. Rien que ça… Et une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger en prime…

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Monsieur LazharMonsieur Lazhar
Monsieur Lazhar

Réalisateur : Philippe Falardeau
Avec : Fellag, Brigitte Poupart, Sophie Nélisse, Emilien Néron, Danielle Proulx, Marie-Eve Beauregard, Seddik Benslimane
Origine : Québec
Genre : fable humaniste
Durée : 1h35

Date de sortie France : 05/09/2012
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Studio Ciné-Live
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