Si vous êtes indécis quant à l’endroit où vous allez passer vos prochaines vacances, allez donc voir Metro Manila au cinéma. En sortant de là, vous ne serez pas beaucoup plus avancés dans votre choix, mais au moins, vous aurez rayé de vos options  la capitale des Philippines, car le film de Sean Ellis n’en dresse pas vraiment un portrait des plus idylliques…

On savait déjà la ville bruyante, grâce aux films de Brillante Mendoza. Et c’est encore le cas ici.
Pour la famille d’Oscar Ramirez, qui vient de quitter les rizières du nord du pays pour s’installer à Manille, le contraste est tout de suite frappant. L’espace sonore est saturé des bruits de circulation et du brouhaha de la population. Ils retourneraient bien d’où ils viennent si la vie à la campagne était économiquement possible. Mais Oscar, victime des prix d’achat toujours revus à la baisse par des négociants peu scrupuleux, n’a plus les moyens de payer les graines pour la prochaine récolte. Il espère trouver un travail plus lucratif en ville et faire vivre décemment sa femme et de leurs deux enfants en bas âge.

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Hélas, ils ne tardent pas à réaliser que la vie en ville n’est pas meilleure qu’à la campagne…
Les emplois sont rares et très mal rémunérés, mais les chômeurs sont prêts à se battre pour les décrocher, car c’est la seule façon de survivre dans cette ville oppressante. Les logements sont tout aussi rares et onéreux, ce qui conduit bon nombre de philippins à dormir dans la rue.
Et évidemment, dans toute cette misère, des escrocs profitent de la crédulité de personnes naïves comme Oscar pour leur soutirer le peu d’argent qu’ils possèdent…
Oscar et sa femme, Mai, se retrouvent vite dans la misère la plus noire, sans ressources et dans l’incapacité de nourrir leurs enfants. Ils trouvent quand même un toit dans un bidonville insalubre. Et Mai finit par accepter un boulot d’entraîneuse dans un bar interlope. Un boulot ingrat, mal payé, où il faut supporter les attouchements des clients abrutis par l’alcool…

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L’espoir renaît provisoirement quand Oscar décroche un emploi de convoyeur de fonds. Il n’a pas le permis, n’a aucune expérience dans le domaine de la sécurité et ne possède pas vraiment la carrure idéale pour ce genre de travail, mais son profil atypique a séduit le recruteur, Ong.
Celui-ci l’aide à décrocher le poste, puis le prend sous son aile. Il se montre particulièrement généreux avec Oscar, lui offrant des vêtements, de la nourriture et même un toit…
Mais Oscar ne va pas tarder à être rattrapé par la dure réalité de cette ville tentaculaire, où règnent cupidité, corruption et violence… Et autant dire que dans ces conditions, l’espérance de vie d’un convoyeur de fonds est des plus limitées…

Avec  Metro Manila, Sean Ellis essaie de faire oublier sa réputation de faiseur d’images sublimes, mais vaines (Cashback, The Broken) en proposant une oeuvre plus brute, plus viscérale. Et force est de constater qu’il y parvient plutôt bien. Sa technique se met cette fois au service d’un scénario habilement construit, débutant comme un drame social gris-poussière  avant de virer au polar noir profond.
Si l’intrigue s’avère parfois un peu trop prévisible, elle est plutôt bien menée, avec une montée en tension constante et un final aussi déroutant que poignant. Les acteurs, tous très justes, participent à la réussite de l’ensemble.

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Mais le vrai personnage principal, c’est la ville de Manille, que Sean Ellis filme avec la même virtuosité que Brillante Mendoza. Il dresse le portrait d’une mégalopole aux deux visages : les quartiers riches, où vivent les hommes d’affaires et les trafiquants en tout genre, et les bas-fonds, constitués de bidonvilles et de rues coupe-gorge. Et entre les deux, un labyrinthe de ruelles poussiéreuses et sales, où des millions d’individus tentent de survivre au quotidien.
Certains crieront probablement à l’accumulation de clichés, mais ce n’est pas le premier film à nous dépeindre la ville de cette manière, et personne ne peut nier que le contraste entre les gratte-ciels du quartier de Metro Manila et les habitations en tôle rouillée des quartiers pauvres est saisissant…
Dans ce film, Manille est une sorte d’entité monstrueuse qui absorbe les individus, les broient, leur fait perdre leur âme. Une présence oppressante, faite de bruit et de fureur. Le lieu idéal pour un film noir, en somme…

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Metro Manila n’est pas exempt de défauts – on aurait aimé que certaines situations et certains personnages soient mieux exploités – mais c’est une franche réussite et l’une des belles surprises de cet été 2013.
Il confirme aussi le talent de Sean Ellis, qui prouve ici qu’il est capable de mettre sa virtuosité technique et son goût pour les expérimentations visuelles au service d’un véritable scénario et d’un sujet fort.

Alors, si on ne vous conseille pas la capitale des Philippines comme destination touristique, on vous la recommande volontiers pour une sortie ciné estivale, via ce Metro Manila de fort belle facture. Bonne visite…

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Metro Manila Metro Manila
Metro Manila 

Réalisateur : Sean Ellis
Avec : Jake Macapagal, Althea Vega, John Arcilla, Ana Abad-Santos, Moises Magisa, Erin Panlilio
Origine : Royaume-Uni
Genre : Le convoyeur de bas-fonds
Durée : 1h55
Date de sortie France : 17/07/2013
Note pour ce film : ●●●●●
Contrepoint critique : Télérama

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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