Alors qu’elle passe la journée à Saint-Gilles-Croix-de-Vie sur la côte Atlantique, pour un entretien d’embauche qui va vite se révéler infructueux,  Lulu décide, sur un coup de tête, de tout plaquer. Son mari, ses enfants, sa vie monotone dans un petit village angevin,… Pas forcément définitivement. Juste pour quelques jours, le temps d’une parenthèse nécessaire pour faire le point sur sa vie, ses attentes, ses frustrations…
Evidemment, les proches de cette quadragénaire ne comprennent pas et ne font rien pour encourager l’escapade. Son mari, furieux, fait même annuler sa carte de crédit, espérant que sans ressources pour se loger et pour manger, Lulu revienne vite au bercail.

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Mais Lulu s’accroche. Elle n’a certainement pas l’intention de mettre fin aussi vite à sa fugue, quitte à dormir dehors s’il le faut. Finalement, les rencontres qu’elle va faire en chemin vont lui permettre de continuer un peu l’aventure et, mieux, de donner à sa vie une nouvelle impulsion.
Il y a déjà Charles et ses deux frères, un trio de Pieds-Nickelés hauts en couleurs, qui squattent un camping en attendant des jours meilleurs. Mais aussi Marthe, une vieille femme solitaire, dont le côté bougon dissimule un coeur d’or. Et Virginie, une jeune serveuse qui subit en silence les brimades de sa patronne… Des personnages tous en proie à une certaine solitude, englués dans les regrets ou la peur, pourchassés par les fantômes du passé, incapables de réagir face à leurs conditions de vie difficiles, mais qui, mis en contact les uns avec les autres, vont réussir à remettre leur vie sur de bons rails. Magie des relations humaines, des belles rencontres, des échanges…

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A l’origine, cette jolie histoire est née de la plume d’Etienne Davodeau(1), dans deux albums de bandes-dessinées (2). Deux trésors de la bande-dessinée contemporaine où transparaît le goût de l’auteur pour les récits ancrés dans le réel, son intérêt pour les gens ordinaires, les marginaux, les “petites gens” et sa façon si particulière de parler de la beauté des rencontres, des échanges humains.
Des qualités que l’on retrouve aussi chez Solveig Anspach, cinéaste à qui l’on doit de magnifiques portraits de femmes, comme celui de l’héroïne de Haut les coeurs! et qui aime à confronter des êtres venus d’horizons différents, comme dans Stormy weather ou son récent Queen of Montreuil.
Leurs deux univers étaient appelés à se rencontrer. La cinéaste, charmée par l’histoire de Lulu, a très vite souhaité l’adapter au cinéma, ce qui donne aujourd’hui ce film lumineux, empreint de poésie et de tendresse.

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Sa Lulu est assez différente physiquement du personnage créé par Davodeau. Plus blonde, assurément. Un peu plus jolie, peut-être, puisque Karin Viard, une fois de plus magistrale, lui prête ses traits…  Mais elle est atteinte du même mal-être existentiel. C’est une femme qui, à force de s’occuper des autres, s’est effacée progressivement. Ses enfants ont l’habitude de la voir aux petits soins pour eux, sans prendre conscience de la lassitude qui la gagne chaque jour. Son mari ne la regarde plus, ne la touche plus. Elle n’a plus l’impression d’être une femme. Juste de faire partie des meubles. Et elle est trop enfermée dans son rôle de mère et de femme au foyer pour oser s’en sortir…
… Jusqu’à cet entretien d’embauche raté, suivi d’un train manqué et la perte de son alliance. Une conjuration d’éléments qui la pousse à s’abandonner à l’instant présent, au bord de la mer/au bord de la mère qu’elle est devenue. Son escapade lui permet de prendre du recul par rapport à sa condition et ses attentes, et de réaliser que d’autres chemins de vie existent, sentiers de traverse menant à la félicité.

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Ces chemins, Solveig Anspach les met merveilleusement en lumière. Tout, dans sa mise en scène, génère de la poésie : la précision des cadres, la douceur des éclairages, la fluidité du montage… Malgré son point de départ assez déprimant, le film nous offre plusieurs moments de grâce pure, à l’image de ce repas improvisé au camping, transfiguré en dîner gastronomique et romantique par Charles (Bouli Lanners, également impeccable) et ses frères (Pascal Demolon et Philippe Rebbot, qui cabotinent juste ce qu’il faut pour rendre attachants ces deux zozos), ou ces moments de tendresse échangés avec Marthe (Claude Gensac, formidable en vieille femme angoissée par la perspective de mourir seule).

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On n’est pas prêt d’oublier ces protagonistes attachants, personnes ordinaires ou marginales auxquelles le cinéma ne s’intéresse que trop rarement, ces représentants de “la France d’en-bas” qui, de par leur chaleur, leur tendresse, leur envie de croquer la vie, sont des “Etres humains d’en haut”.
Et on a juste envie de remercier les auteurs de cette oeuvre bouleversante.
Donc, merci à Etienne Davodeau d’avoir imaginé cette belle histoire. Merci à Solveig Anspach de l’avoir portée à l’écran avec autant de pudeur et de sensibilité. Merci à Karin Viard d’incarner aussi parfaitement cette douce Lulu. Et merci au cinéma français de proposer, de temps à autres, ce genre de “petit” film qui ravit les coeurs et nourrit les âmes…

(1) : Etienne Davodeau joue un petit rôle dans le film. Un client du café de Corinne Masiero. Pour plus d’informations sur cet auteur, allez faire un tour sur son site personnel et pour les chroniques de ses derniers albums, PaKa en parle très bien dans notre rubrique-à-brac
(2) : “Lulu femme nue” d’Etienne Davodeau – 2 volumes et édition intégrale disponible – Futuropolis

    

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Lulu femme nue Lulu femme nue 
Lulu femme nue

Réalisatrice:  Solveig Anspach
Avec : Karin Viard, Bouli Lanners, Claude Gensac, Solène Rigot, Marie Payen, Pascal Demolon
Origine : France
Genre : parenthèse enchanteresse 
Durée : 1h27
Date de sortie France : 22/01/2014
Note pour ce film :●●●●●●
Contrepoint critique : Les Inrockuptibles

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