En avril 1974, le directeur de la Radio Suisse SSR, reçoit l’ordre de diffuser des programmes légers, consensuels, véhiculant une bonne image du pays. Il a alors l’idée d’envoyer une équipe faire un reportage au Portugal, où la Suisse participe à divers projets de développement économique.
Drôle d’idée, car l’aide helvète à ce petit pays européen est plus symbolique qu’autre chose.
Et drôle d’équipe, composée de personnalités très hétéroclites… Parmi elles, Julie Dujonc-Renens (Valérie Donzelli), une jeune journaliste féministe qui a une aventure avec son patron ; Joseph-Marie Cauvin (Michel Vuillermoz), un vieux briscard revenu sonné de son dernier reportage au Vietnam, ce qui n’altère en rien son caractère machiste, et Bob (Patrick Lapp), le chauffeur et ingénieur du son, un type proche de la retraite dont la vie entière semble contenue dans sa fourgonnette.
Puisque personne – y compris Cauvin, pourtant persuadé du contraire – ne parle un mot de portugais, l’équipe accueille également un jeune villageois, Pelé (Francisco Belard), qui a appris à parler le français en regardant les films de Pagnol et qui ponctue ses traductions d’expressions provençales comme “Peuchère!”.
Ce quatuor de “pieds-nickelés” se met à sillonner les petites routes du Portugal, cherchant en vain de la matière pour leur reportage. Et sans le savoir, ils se retrouvent soudain embarqués au coeur de la “Révolution des oeillets”, la chute de la dictature de Salazar, qui durait depuis plusieurs décennies…

Les grandes ondes - 4

Ah! Quelle merveille que cette comédie signée Lionel Baier!
Un petit bijou d’humour, exploitant aussi bien l’opposition de caractères des personnages (le grand reporter macho et la jeune journaliste féministe, tandem explosif), que les approximations linguistiques (les questions posées par Michel Vuillermoz à des autochtones éberlués sont assez savoureuses) et la cocasserie des situations. Un film intelligent, qui réussit à entremêler habilement petites histoires et grande Histoire, la révolution d’un peuple entier et la révolution intime que font les quatre personnages, transfigurés par ces quelques jours passés ensemble. Et une oeuvre subtilement politique, qui établit in fine un parallèle entre ces évènements vieux de quarante ans et notre époque contemporaine.

Les grandes ondes - 3

La grande force du film, c’est de partir de personnages stéréotypés, pas forcément très sympathiques, et gratter le vernis pour nous faire découvrir leurs véritables personnalités, à travers leurs rêves, leurs peurs, leurs faiblesses et plein de choses qu’ils ignorent d’eux-mêmes et qu’il vont découvrir en cours de route.
Ainsi, le reporter joué par Michel Vuillermoz, que l’on prend pour un rustre narcissique et et macho, dissimule-t-il un secret qui le rend terriblement vulnérable. Et donc extrêmement attachant. La militante féministe incarnée par Valérie Donzelli, qui prône la liberté sexuelle et l’émancipation, se retrouve confronté à ses paradoxes (elle couche avec son patron pour tenter de faire avancer sa carrière, pas très féministe, comme idée…) et découvre qu’elle n’est peut être pas aussi libérée qu’elle ne le pense. Quant à Bob, que l’on prend tout d’abord pour un vieil ours solitaire, il se révèle bien plus ouvert aux autres et plus moderne que ses compagnons.
C’est du pain béni pour les acteurs, qui trouvent là l’occasion de jouer sur plusieurs registres. Ils livrent tous des performances magnifiques, sans jamais chercher à voler la vedette aux autres. On connaissait déjà le talent de Valérie Donzelli et Michel Vuillermoz. On découvre celui de Patrick Lapp, animateur radio très connu en Suisse, et du jeune Francisco Belard (1).
Le cinéaste les filme avec une tendresse communicative, qui fait que l’on suivrait sans hésiter ce quatuor jusqu’au bout du monde.

Les grandes ondes - 6

Lionel Baier réussit également quelque chose de rare : capter l’essence d’une époque.
Il nous plonge au coeur de la parenthèse enchantée des années 1970, marquée par la libéralisation des moeurs, l’émancipation de la femme et les nombreuses révolutions des peuples contre des régimes politiques oppressants ou dépassés par les évènements. Il restitue les rêves et les attentes de toute une génération, désireuse d’abolir les frontières et de créer un gigantesque espace européen, démocratique et pacifique.
Evidemment, les choses ont changé depuis cette époque. La libéralisation des moeurs s’est heurtée à l’émergence du SIDA, les inégalités entre hommes et femmes demeurent, et la construction européenne doit faire face au double écueil de la mondialisation et des crises économiques successives. Les peuples n’ont plus confiance en l’union européenne, pas plus qu’ils n’ont confiance en leurs dirigeants.
Mais le narrateur, dans le dénouement du récit, invite les nouvelles générations à retrouver l’esprit et le souffle des années 1960/1970, et à se remobiliser pour construire un monde nouveau, avant que les peuples ne se laissent une fois de plus endormir par les extrémismes de tout poil et les régimes totalitaires.

Les grandes ondes - 2

Attention, ce n’est pas un film à thèse, loin de là. Le message, plus humaniste que politique, du cinéaste n’est délivré que par petites touches subtiles, délicates. Les Grandes ondes est avant tout une comédie, légère et pétillante, où la reconstitution historique cède parfois la place à des séquences fantaisistes, gentiment décalées, comme cette confrontation entre les partisans de Salazar et un groupe de révolutionnaires féministes, chorégraphiée à la manière de West Side Story, avec un morceau de Porgy and Bess, de Gershwin, en toile de fond. La musique du compositeur américain irrigue d’ailleurs l’intégralité du film, participant à sa belle mécanique rythmique. Les dialogues finement ciselés et les situations cocasses font le reste du travail. L’efficacité est là : le long-métrage de Lionel Baier est drôle de bout en bout et ne souffre d’aucun temps mort.

Les grandes ondes - 5

Certains trouveront peut-être à redire sur la mise en scène, il est vrai assez sage, du cinéaste. Mais le film est porté par une telle énergie, un tel enthousiasme et une telle intelligence qu’on lui pardonne volontiers son manque d’ampleur formelle.
Pour nous, Les Grandes ondes (à l’ouest) (2) est un véritable coup de coeur, qui nous rassure fortement sur l’état du cinéma actuel. Tant que des artistes réaliseront ce genre d’oeuvres drôles, émouvantes, subtiles et élégantes, totalement libres, nous pourrons encore éprouver du plaisir dans les salles obscures.
Serez-vous sur la même longueur d’onde que nous? On parie que oui, et on vous engage à le vérifier en vous rendant d’urgence dans la salle la plus proche!

(1) : En plus de ce quatuor, le cinéaste a rassemblé certains confrères cinéastes pour jouer les seconds rôles du film. Il joue lui-même dans le film, aux côtés d’Ursula Meier et Frédéric Mermoud, dans la peu de journalistes… belges. Et le documentariste Jean-Stéphane Bron incarne le patron de la radio suisse. 
(2) : Le “à l’ouest” du titre indique que le film est le second opus d’une tétralogie “points cardinaux” commencée avec Comme des voleurs (à l’est), comédie dramatique tournée en Pologne, et qui se poursuivra avec deux longs-métrages, situés potentiellement en Italie et en Angleterre.   

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Les grandes ondes Les Grandes ondes (à l’ouest) 
Les Grandes ondes (à l’ouest)

Réalisateur : Lionel Baier
Avec : Michel Vuillermoz, Valérie Donzelli, Patrick Lapp, Francisco Belard, Jean-Stéphane Bron
Origine : Suisse, France, Portugal
Genre : road-movie comique, historique et tendre 
Durée : 1h24
Date de sortie France : 12/02/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : Le Parisien

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