Louis Mandrin a vécu au XVIIIème siècle, sous le règne de Louis XV.
Il était capitaine d’un groupe de contrebandiers qui défiait l’autorité du Roi de France et des Fermiers Généraux chargés de collecter les taxes auprès des marchands.
Un bandit, du point de vue du pouvoir en place, doublé d’un criminel.
Un héros, du point de vue de la population, hostile aux impôts de plus en plus lourds exigés par une monarchie au train de vie fastueux, et pour quelques intellectuels de l »époque, dont Voltaire, qui étaient admiratifs de son esprit frondeur.
L’Histoire a retenu la deuxième affirmation, notamment grâce à une chanson populaire,  « La Complainte de Mandrin », qui s’est répandue de village en village et transmise de génération en génération, reprise notamment lors d’événements historiques comme la Commune de Paris, plus d’un siècle plus tard. Le contrebandier est ainsi devenu une figure légendaire, le symbole de la rébellion contre un pouvoir inique, entre Louis-Dominique Cartouche et les grandes figures de la Révolution Française…

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Plutôt que de faire un film autour de la vie du célèbre brigand, le cinéaste Rabah Ameur-Zaïmèche a choisi d’axer son film autour de la conception de cette chanson et la façon dont le malheureux est devenu un martyr aux yeux de la population.

Les Chants de Mandrin se déroule après la mort de Mandrin. Ses compagnons, menés par Bellisard, ont repris les campagnes de contrebande entre la Savoie et la France. Poursuivis par l’armée française, ils se tiennent à l’écart des villages, cachés dans les forêts.
Un marquis part à leur recherche, avec l’aide d’un colporteur. Pas pour les piéger, non. Pour s’acquitter d’une promesse faite à Mandrin.
L’homme a rencontré le contrebandier quand celui-ci était en prison, et s’est laissé séduire par sa personnalité et ses idées révolutionnaires. Le marquis rabot appartenir à la noblesse, il est écoeuré par les dérives de la monarchie et les abus du pouvoir à l’encontre des plus faibles. Il a donc promis à Mandrin de publier son testament politique, un manuscrit qui se trouve entre les mains de Bellisard.
L’ex-lieutenant de Mandrin et le Marquis font le nécessaire pour trouver un imprimeur et diffuser le petit livre, mais se heurtent aux dragons de l’armée, prêts à tout pour empêcher la diffusion du brûlot…

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Le cinéaste montre les différentes étapes du combat politique : la révolte et l’engagement au service d’une cause, la constitution d’un groupe partageant les mêmes idéaux, la clandestinité, la propagation des idées par le dialogue et la diffusion d’imprimés…
Et finalement, c’est par l’expression artistique, la création de la fameuse chanson, que se propagera le mieux le testament politique de Mandrin.
Oui, l’art peut être le relais de la pensée, de la rébellion, de la résistance, ainsi qu’un témoignage des actions menées  Les écrits restent, les chansons restent, les films aussi… Ils traversent le temps et permettent aux générations suivantes de se souvenir des combats qui ont été menés au nom d’une cause, et notamment ceux menés contre les injustices et pour la liberté.

Cela, Rabah Ameur-Zaïmèche l’a bien compris. Et il ne se prive pas d’utiliser son film comme vecteur d’un message politique percutant, une critique sociale qui entend montrer que les injustices combattues jadis par Mandrin sont encore d’actualité aujourd’hui, sous d’autres formes.
Aujourd’hui, l’État français doit faire face aux mêmes problèmes de trésorerie que la monarchie de l’époque. Certains organismes financiers sont tout-puissants et exploitent le peuple au profit d’intérêts personnels, comme les Fermiers Généraux exploitaient les paysans et les marchands…
Les taux d’imposition sont élevés pour renflouer les caisses de l’État, comme la gabelle de l’époque. Les autorités appréhendent des individus pour délit de faciès, et abusent de leur pouvoir, comme les dragons du roi en abusaient…
Et des gens commencent à s’indigner, à s’organiser pour manifester leur mécontentement à l’encontre du pouvoir, comme s’organisait dans l’ombre la révolution française…

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Pour établir le parallèle entre les deux époques, le cinéaste n’a pas besoin de beaucoup forcer. Il lui suffit d’évoquer le fossé grandissant entre la riche noblesse et le tiers-état pour que l’on reconnaisse là les dérives de nos sociétés capitalistes.
Il marque quand même le coup en faisant se dérouler l’action sur le plateau du Larzac, haut lieu de lutte entre les paysans et l’armée française dans les années 1970, et en confiant des rôles à des personnalités opposées au système en place. Ainsi, des acteurs engagés  (Jacques Nolot en tête) côtoient des représentants de la Confédération Paysanne chère à José Bové ou un philosophe connu pour ses opinions politiques tranchées (Jean-Luc Nancy)… Et de nombreux acteurs sont, comme le cinéaste, issus de l’immigration.
Une représentation plus en phase avec la réalité des classes populaires d’aujourd’hui que de celles de l’époque… Un grand melting-pot et un films de potes, puisque même la réalisation du film obéit à une logique collectiviste : par souci d’économie mais aussi par parti-pris de mise en scène,  les techniciens servent aussi de figurants et se retrouvent sous les ordres du chef de bande Bellisard, incarné par le cinéaste lui-même.

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La fine équipe prône l’égalité entre les classes sociales (le marquis qui invite le colporteur dans son carrosse ; le même colporteur qui menace les pieds endoloris dudit gentilhomme), exalte la solidarité entre les contestataires (le brigand aide un déserteur à échapper aux autorités), et rend hommage au militantisme.
Le film s’attarde aussi sur le travail à l’imprimerie. Une façon de militer pour la sauvegarde des emplois dans un secteur industriel aujourd’hui sérieusement menacé, et une façon symbolique de défendre la liberté de la presse, elle-aussi parfois bafouée par les gens de pouvoir.

La mise en scène de Rabah Ameur-Zaïmèche illustre avec élégance la thématique principale du film – le clivage social entre les puissants et les plus  défavorisés – en multipliant les plans géométriques où s’opposent le ciel (la France d’en haut) et la terre (la France d’en bas, et celle des agriculteurs, des terriens…).

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Mine de rien, avec son emballage de film historique en costumes, son dispositif minimaliste – fauché, diraient les mauvaises langues – est un grand film politique.
Ce constat percutant sur la situation sociale française entend faire réagir le spectateur à quelques mois des élections présidentielles et au moment où le monde subit une crise économique majeure. Ou au moins à le faire réfléchir…

En ce sens, Rabah Ameur-Zaïmèche respecte pleinement l’héritage politique de Mandrin et prend le relais des troubadours qui chantèrent sa gloire et diffusèrent ainsi un hymne de résistance à un Etat-oppresseur.
A double titre, puisque évidemment, hélas, ce genre de film n’est diffusé que dans un circuit restreint de salles. Clandestinement en quelque sorte, et ce, malgré l’attribution du Prix Jean Vigo…
Raison de plus pour nous de le défendre et de le soutenir…

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Les chants de Mandrin Les Chants de Mandrin
Les Chants de Mandrin

Réalisateur : Rabah Ameur-Zaïmèche
Avec : Christian Milia-Darmezin, Rabah Ameur-Zaïmèche, Jacques Nolot, Kenji Levan, Abel Jafri, Jean-Luc Nancy
Origine : France
Genre : politique
Durée : 1h37
Date de sortie France : 25/01/2012
Note pour ce film : ●●
contrepoint critique chez : L’Express

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