Dans Depuis qu’Otar est parti, son excellent premier long-métrage, la réalisatrice Julie Bertuccelli traitait de déracinement et de deuil.
Il était question de la mort d’Otar, un géorgien parti à Paris pour gagner de quoi faire vivre sa famille restée au pays. Pour ménager sa mère, vieille et à la santé fragile, sa soeur et sa fille se démenaient pour lui cacher la triste vérité…

La cinéaste joue aussi à peu près sur ces thématiques dans son nouveau film, où il est une nouvelle fois question d’un deuil difficile à faire : Peter, un australien d’une quarantaine d’années, meurt brusquement d’une crise cardiaque, laissant complètement désemparés son épouse, Dawn (Charlotte Gainsbourg) et leurs quatre enfants. Chacun réagit à sa façon, essaie de trouver les ressources pour continuer à vivre.

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Pour ce qui est du déracinement, il est à prendre au sens propre, puisque le personnage central du film, ou du moins son élément le plus imposant, est… un arbre. Un figuier majestueux qui domine la maison de cette famille.
Simone, la fille cadette de huit ans, est persuadée que l’âme de son père s’est implantée dans cet arbre gigantesque. C’est sa façon à elle de supporter l’idée de la mort, de la rendre supportable en imaginant que l’esprit du défunt est toujours présente, sous une autre forme…

Sa mère, complètement ébranlée par la brusque disparition de son mari, se laisse séduire par cette idée poétique. Elle reprend peu à peu goût à la vie, et commence à aller de l’avant. Elle démarre un nouvel emploi et trouve un réconfort inattendu auprès de son patron, George, qui semble s’être entiché d’elle.
Mais, alors qu’elle semble accepter l’idée de pouvoir démarrer une nouvelle vie, de reconstruire sa vie avec quelqu’un d’autre, l’arbre devient de plus en plus envahissant. Des branches tombent sur la maison, les racines bouchent les canalisations et leur croissance va jusqu’à menacer les fondations. les animaux qu’il hébergeait, grenouilles ou chauves-souris,  viennent squatter auprès des habitants des lieux. Il lui en coûte, mais Dawn n’a pas le choix. Elle doit faire abattre l’arbre…

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La grande force du film de Julie Bertuccelli, adapté d’un roman de Judy Pascoe (1), est d’évoluer constamment à la lisière du merveilleux et du surnaturel, tout en restant ancrée dans un certain réalisme. Elle laisse ainsi à chaque spectateur le soin de se forger sa propre vision de l’oeuvre.
Ainsi, on peut très bien prendre le récit au premier degré, comme une fable fantastique, considérer que l’âme du père s’est effectivement projetée dans l’arbre, tentant ainsi de rester proche des siens et de veiller à ce que rien ne change, jamais…

On peut aussi prendre ce récit comme une allégorie du travail du deuil, et la façon dont l’esprit humain tente de surmonter cette douleur, d’organiser des sentiments violents et contradictoires : envie de mourir immédiatement pour rejoindre l’être cher disparu et envie de continuer à vivre, malgré tout ;  besoin de se rattacher fortement au passé, aux souvenirs, afin de ne jamais oublier l’être cher, et nécessité de lâcher prise, de prendre un peu de distance pour atténuer la douleur de l’absence et continuer à avancer ; nécessité de garder intact ce lien exclusif qui vous unissait au défunt et besoin de trouver du réconfort auprès d’autres, forcément différents…

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L’arbre porte en lui ces contradictions. Il est emblématique d’une nature bienveillante, protectrice, un abri contre les éléments extérieurs, un refuge, mais il est aussi emblématique d’une nature envahissante, destructrice,  une force supérieure qui tend à faire disparaître l’homme ou du moins lui rappeler son côté éphémère et dérisoire…
En regardant cet arbre majestueux, témoin de siècles d’histoire, et en se laissant plus ou moins convaincre par Simone qu’il renferme l’esprit de Peter, Dawn se trouve apaisée. Elle est rassurée par l’idée que le souvenir de son mari est profondément enraciné en elle, qu’il ne s’effacera pas.
Mais dans le même temps, cette conviction l’empêche d’avancer. Elle est contrainte au même immobilisme que le figuier, piégée par ses propres souvenirs.
Elle doit accepter l’idée de la séparation, l’idée du déracinement, pour que la vie continue… Et cela ne se fait jamais sans heurts. C’est une tempête gigantesque qui menace à tout moment de vous emporter… Comme la fin du film, où les éléments se déchaînent avec une violence inouïe.

Ce n’est qu’au terme de cet épisode dantesque que Dawn pourra retrouver l’apaisement, symbolisé par le retour d’un soleil radieux. Bien sûr, à l’instar du paysage, des choses se seront brisées en elle, qu’elle ne pourra jamais oublier, mais elle aura retrouvé l’envie d’avancer, de continuer sa route sur ce beau chemin que l’on nomme la vie…

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C’est sûr que dit comme cela, avec ces mots bien dérisoires – le critique ne vaut jamais le poète…- on pourrait croire que L’Arbre n’est qu’un mélodrame lourdement symbolique, empêtré dans une ambiance bucolique gnangnan…
Il n’en est rien… Le film dégage une poésie rare, par la grâce de la mise en scène subtile, pudique et discrète de Julie Bertuccelli, de la beauté des décors naturels, intelligemment choisis et magnifiés par le travail du chef-opérateur Nigel Bluck et les performances des acteurs.

Un an après avoir remporté la palme d’interprétation cannoise pour son rôle de femme tourmentée par un deuil impossible dans Antichrist de Lars Von Trier, Charlotte Gainsbourg évolue ici dans le même registre (enfin,   la violence en moins) et inutile de préciser qu’elle est une nouvelle fois très juste et très touchante, favorisant l’identification du spectateur à son personnage.
Elle est épaulée par une gamine de huit ans à peine, Morgana Davies, qui, pour sa première apparition à l’écran, se révèle magnifique de charme, de justesse et de naturel – ce qui, ici, est carrément une bonne chose !
Si elle choisit de continuer sa carrière d’actrice, il est fort à parier que l’on entendra encore parler d’elle dans le futur…
Et si, dans ce beau film, les figues et les filles se taillent la part du lion, la gent masculine ne s’en sort pas si mal non plus : les jeunes Tom Russell et Christian Byers sont également très justes, et Marton Csokas est ici bien mieux mis en valeur que dans le très médiocre L’âge de raison (2)…

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Ajoutons à cela une belle bande originale, mêlant la musique de Grégoire Hetzel aux mélodies de Cinematic Orchestra (3), ainsi qu’un montage soigné, et cela donne un film de toute beauté.

Seul bémol : le scénario est très linéaire et forcément un peu prévisible. Du coup, on peut trouver, ça et là, que le film traîne en longueur.
Mais ceci ne nuit en rien à la qualité d’un film qui, justement, entend montrer que le travail de deuil est long et éprouvant…

Vu les qualités artistiques arborées par ce film délicat et raffiné, on ne peut que regretter qu’il n’ait été présenté que hors-compétition au dernier festival de Cannes (il y a fait office de film de clôture). Il aurait probablement pu prétendre à un prix et glaner une notoriété qui l’aurait un peu mieux servi que cette sortie estivale en catimini. Alors nous vous conseillons fortement d’aller découvrir en salle ce film tout simple, belle leçon de vie signée par une réalisatrice extrêmement douée, mais hélas trop rare : Julie Bertuccelli…

(1) : “L’arbre du père” de Judy Pascoe – éd. Autrement
(2) : Non, je ne me suis toujours pas remis du coup des hamsters… (voir la critique du film de Yann Samuell pour comprendre)
(3) : Leur titre – évocateur – “To build a home” est repris à la fin du film…

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L'arbreL’Arbre
The tree

Réalisatrice : Julie Bertuccelli
Avec : Charlotte Gainsbourg, Morgana Davies, Marton Csokas, Aden Young, Christian Byers
Origine : France, Australie, Italie
Genre : travail de deuil
Durée : 1h40
Date de sortie France : 11/08/201

Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Télérama
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