Walter Mitty (Ben Stiller) est ce qu’on pourrait appeler un homme “ordinaire”, dans le sens où sa vie est terriblement banale, monotone, dépourvue d’imprévus et de folies. Il est enfermé dans une ennuyeuse routine métro-boulot-dodo, avec une halte pour s’occuper de sa soeur et de sa vieille mère. Il ne sort jamais, ne fait jamais d’excès. Et il gère ses dépenses au centime près, pour ne jamais être pris au dépourvu. Son existence obéit aux principes de la prise de risque minimale, de la discrétion absolue et de l’ordre immuable.

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Evidemment, son manque d’audace, allié à sa timidité naturelle, l’a jusqu’ici empêché de trouver l’âme soeur. Il a bien des vues sur sa nouvelle collègue, la jolie Cheryl (Kristen Wiig), mais là encore, il est incapable de l’aborder directement et choisit une approche plus compliquée, en cherchant à la contacter via le site de rencontres sur lequel elle est inscrite. Et quand il ose enfin lui envoyer un message – que dis-je, un simple ”clin d’oeil”- le site bogue  et refuse d’exécuter l’opération. Le technicien informatique qui est chargé de vérifier le problème en profite pour lui signaler que son profil d’inscription est incomplet. Walter n’a pas rempli les champs concernant ses loisirs,  les voyages qu’il a effectués, ou les actes remarquables qu’il a accomplis. Et pour cause, sa vie est désespérément vide. Il n’a jamais rien fait d’intéressant, ni visité d’autre ville…

Ses voyages, il les vit par procuration. En tant que responsable du développement des photos pour le magazine “Life”, il reçoit des pellicules venues du bout du monde, envoyées par les grands reporters tel que Sean O’Connell (Sean Penn), le photographe vedette du magazine. A travers les images prises sur le terrain, il peut voyager un petit peu, par la pensée.
De même, les seules situations extraordinaires dans lesquelles il peut se retrouver se situent dans ses rêves. Là, Walter devient un héros intrépide capable de braver tous les dangers pour sauver d’innocentes victimes, un aventurier/séducteur passant ses weekends en expédition dans le Grand Nord, ou un rebelle énervé n’hésitant pas à asséner leurs quatre vérités à ceux qui tentent de le martyriser. De doux songes, souvent éveillés, qui provoquent les railleries des gens qui le côtoient…

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A force de rêver, Walter passe à côté de sa vie. Et cela, il ne l’a pas encore réalisé. Le déclic va survenir quand, suite à des problèmes économiques, les propriétaires de “Life” décident de se délester du magazine papier. Ce qui signifie, pour Walter, la perte probable de son emploi, d’autant que les “coupeurs de tête” des ressources humaines l’ont pris en grippe, justement à cause de son côté lunaire. Mais avant de licencier le personnel superflu, les propriétaires ont décidé de publier un ultime numéro du magazine, et de mettre à la Une un des clichés du dernier reportage d’O’Connell. Au moment de développer le cliché en question, Walter réalise avec effroi que le négatif est manquant. Sa seule chance de pouvoir mettre la main dessus est de partir sur les traces du reporter, localisé quelque part du côté de l’Islande… Débute un périple qui va faire complètement voler en éclats sa petite vie tranquille, et où les rêves de Walter vont devenir réalité…

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Ceux qui ont dû cravacher dur pour transformer leur rêve en réalité, ce sont les producteurs qui ont oeuvré pour que ce long-métrage finisse par arriver sur nos écrans. L’idée de monter une nouvelle adaptation de la nouvelle de James Thurber, après celle, assez libre, de Norman Z. McLeod en 1947, avec Danny Kaye et Virginia Mayo, date en effet de 1994. Samuel Goldwyn Jr voulait produire un remake du film de McLeod, avec Jim Carrey dans le rôle-titre. Mais cela n’a pas pu se faire. Le projet est alors tombé dans ce qu’on appelle le “development hell” hollywoodien, occasionnant quelques procès pour les droits du film, et passant de mains en mains. Chuck Russel, Steven Spielberg et Gore Verbinski ont été pressentis pour le réaliser. Zach Helm, Richard LaGravenese, Jay Kogen puis Steven Conrad ont travaillé sur le scénario, l’adaptant pour coller à Owen Wilson, Mike Myers puis Sacha Baron Cohen dans le rôle-titre.
Une véritable Arlésienne, avant que Ben Stiller n’endosse la double casquette de metteur en scène et d’acteur principal et finisse par faire aboutir le projet.

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C’est peut-être pour cela que le film ressemble souvent à un assemblage hétéroclite de genres, d’influences, de tonalités, et donne l’impression d’être branché sur courant alternatif.
Prises séparément, les différentes composantes du récit – comédie, comédie romantique, aventures et chronique sociale – fonctionnent correctement et offrent de jolies séquences, mais, agencées ensemble,  elles ne cohabitent pas toujours de manière heureuse. Ceci nuit à la narration, qui connaît quelques trous d’air et de regrettables baisses de rythme.

Cela dit, on ne s’ennuie pas une seconde, le cinéaste réussissant à relancer sa mécanique scénaristique à  chaque fois qu’elle commence à se gripper, à l’aide de jolies trouvailles de mise en scène. Par exemple cette scène musicale inattendue, dans un bar perdu au fin fond de l’Islande, où une  Cheryl fantasmée entonne “Space Oddity” pour donner du courage à Walter. Ou cette scène d’arrivée à l’aéroport vue à travers un scanner corporel…
Par ailleurs, le duo Ben Stiller/Kristen Wiig fonctionne bien, et le film s’appuie sur de savoureux second rôles, comme Sean Penn en reporter philosophe, Shirley MacLaine en mère facétieuse et Adam Scott en liquidateur méprisant.

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Mais ce qui fait vraiment l’intérêt de La Vie rêvée de Walter Mitty, c’est la réflexion, induite par le script, sur la place du réel dans une société où le virtuel règne en maître et sur celle de l’être humain dans un monde de plus en plus déshumanisé.
Le film est articulé autour de la disparition, en 2007, du magazine “Life”, qui ne subsiste plus aujourd’hui que sous forme de site internet. Un symbole fort, emblématique, durant la seconde moitié du XXème siècle, d’une certaine conception du reportage d’investigation et, de manière plus large, de la presse papier dans son ensemble, menacée par les nouveaux moyens de communication et la soif de profits des holdings qui ont remplacé les patrons de presse passionnés et visionnaires. A travers la fin de de ce magazine, Ben Stiller déplore la fin d’une époque où les moyens de communication n’étaient pas aussi nombreux, ni aussi perfectionnés, mais où les gens échangeaient vraiment, une époque où les moyens de création étaient moins sophistiqués, où les outils de travail étaient moins performants, mais où les gens étaient autrement motivés par leur travail…

Il en va de même pour le cinéma hollywoodien, dominé par les blockbusters sans âme, truffés d’effets spéciaux numérique, de 3D relief inutile, au détriment de l’intrigue et des personnages. Face à ces oeuvres, La Vie rêvée de Walter Mitty constitue une forme de résistance. Ben Stiller livre un film d’aventures presque “à l’ancienne”, ne sacrifiant pas les numéros d’acteur à des scènes spectaculaires tape-à-l’oeil. Et comme à l’âge d’or du cinéma hollywoodien, il n’hésite pas à entremêler divertissement pur et propos intelligent, en prise avec l’air du temps, en prise avec le réel.

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Même si l’ensemble n’est pas totalement abouti, même si la réflexion n’est pas aussi poussée qu’elle aurait pu l’être, La Vie rêvée de Walter Mitty a le mérite d’exister. Enfanté dans la douleur, au coeur du système hollywoodien actuel, le film réussit à prôner les valeurs qui manquent à ce dernier : un peu plus d’audace, de prises de risques.
Mais surtout, il remet l’humain au centre des débats.
Car aujourd’hui, dans tous les secteurs professionnels, des êtres humains sont sacrifiés, remplacés par des machines, remplacées par du virtuel. Bien sûr, on ne peut pas arrêter le progrès, mais il convient de se rappeler qu’il est censé améliorer les conditions de vie de la population, pas juste le bien-être de quelques nantis. Et aussi que ce progrès est le fruit du travail d’hommes et de femmes qui ont oeuvré pour transformer des rêves en réalité.
Life était le rêve d’un journaliste et s’est transformé en institution grâce à tous les anonymes qui permettaient au titre d’être publié dans les délais, et a révolutionné le journalisme d’investigation.  Il ne faut pas l’oublier – pas les oublier – pour inciter d’autres personnes à rêver et à concrétiser ces rêves, et inventer un nouveau monde pour demain.

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La vie rêvée de Walter Mitty La Vie rêvée de Walter Mitty
The Secret Life of Walter MittyRéalisateur : Ben Stiller
Avec : Ben Stiller, Kristen Wiig, Sean Penn, Shirley MacLaine, Adam Scott, Kathryn Hahn
Origine : Etats-Unis
Genre : film hollywoodien (presque) à l’ancienne
Durée : 1h54
Date de sortie France : 01/01/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : Libération
Filmosphère

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