Une virée au Havre, ça vous tente? Non, hein, pas trop…
Il est vrai que ce n’est pas le coin le plus glamour de Normandie, et encore moins de France, avec son climat océanique tempéré – c’est-à-dire venteux et gris – ses zones industrielles à faire hurler à la mort un écologiste, son centre-ville en béton armé et son port décoré aux containers…

Le Havre - ville

Et puis, on vous comprend, vous n’avez pas envie de tomber nez-à-nez avec des étudiants délurés ou des dockers revendicatifs – et encore moins avec Franck Dubosc en danseur de disco ou Michael Youn en dealer/frunpkeur…
Pire, à un coin de rue, vous avez une probabilité raisonnable de croiser notre ami Marc-Georges, cinéphile psychopathe qui a toujours des milliers d’anecdotes à raconter sur le septième art, sur sa bonne ville du Havre et sur les films qui y ont été tournés… Dans cette hypothèse, préparez-vous, car à domicile, il risque d’être intarissable…

En même temps, le climat n’est pas plus moche qu’à Paris, et là-bas, au moins, il y a la mer… Certains coins possèdent un certain charme et même l’architecture en béton possède une certaine noblesse si on considère qu’elle est classée au Patrimoine Mondial par l’UNESCO…
On peut tomber nez-à-nez avec des étudiantes charmantes – on en connaît – des couples mythiques qu’ont d’beaux yeux, tu sais, et vous pouvez vous débarrasser de Marc-Georges en lui disant que vous avez vu des documents super rares sur les “Fantomas” au cinéma à une brocante dans la ville voisine…

La Fée - 2

Et puis, au Havre, il se passe parfois de drôles de choses et des choses très drôles…
Par exemple, autour de ce petit hôtel miteux pas loin des docks… Son veilleur de nuit, Dom, s’apprête à passer une soirée tranquille devant une bonne vieille vidéo et un bon sandwich, quand des drôles de clients viennent troubler sa quiétude. L’un est un anglais muni d’un chien remuant, l’autre est une jeune femme pieds nus, sans bagages, qui lui affirme être une fée et avoir le pouvoir d’exaucer trois de ses voeux… Déjà, c’est saugrenu…
Mais si vous ajoutez à cela un trio de sans papiers qui veulent partir en Angleterre, un patron de bistro complètement miro et un pack de rugbywomen expertes en art lyrique, vous avouerez que ce n’est quand même pas banal et que cela mérite un petit peu d’attention…

Maintenant, de deux choses l’une : soit vous avez détesté l’humour burlesque, “à l’ancienne”, du trio Dominique Abel/Fiona Gordon/Bruno Romy dans L’Iceberg ou Rumba, et vous n’aimerez pas du tout leur nouveau film, soit vous avez apprécié la fantaisie et la poésie des oeuvres précitées et vous serez probablement encore séduit par La Fée, qui s’inscrit dans la même lignée…

La Fée - 6

Ici, on appartient plutôt à la seconde catégorie. Depuis que nous avons découvert les premiers courts-métrages de Fiona Gordon et Dominique Abel, nous avons toujours apprécié leur univers artistique très singulier, entre Tati et Kaurismäki, avec gags visuels étourdissants et fond teinté de noir…
Aussi, on prend bien évidemment plaisir à suivre les mésaventures absurdo-comiques de ces drôles de zigues cabossés par la vie, perdants magnifiques semblables à ceux qui peuplent les spectacles de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps…

Le début est brillant. Les gags s’enchaînent à un rythme soutenu, la machine burlesque fonctionne à plein régime. Mais elle tombe en panne sèche à partir du moment où la romance entre les deux personnages principaux se développe. Les ressorts burlesques se retrouvent alors un peu grippés. Le film s’essouffle, hélas, et on rit un peu moins.
Mais à la place, on a droit à un peu de magie et de curieuses séquences dansées, dans l’esprit de celles qui ponctuaient  Rumba. Citons notamment une belle séquence “aquatique” avec un ballet de méduses en… sacs plastiques.

La Fée - 3

De la magie, donc, et un peu de rêve… Car c’est de cela dont traite le film, au final : chaque personnage rêve de quelque chose, d’un objet, d’une situation, d’un objectif, qui lui permettrait d’égayer un peu la grisaille, de rompre avec le train-train quotidien ou de redémarrer une nouvelle vie ailleurs…
Les auteurs observent avec tendresse et humanité leurs personnages, doux rêveurs croyant aux miracles, à l’Amour avec un grand A  et à la solidarité… Mais là aussi, ils ne vont pas tout à fait au bout de la démarche, comme s’ils avaient peur de briser l’équilibre comique de leur récit… Dommage…

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A l’arrivée, le film est donc bancal et imparfait, mais reste également intéressant, attachant même…
En fait, il manque juste un petit rien, une mécanique burlesque un peu mieux huilée, ou une rupture de ton un peu plus marquée, pour que l’on soit véritablement conquis… Ou alors, peut-être est-on déjà trop habitués à cet humour atypique pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur…

Mais quoi qu’il en soit, La Fée donne quand même bien envie d’aller faire un petit tour au Havre, animés du fol espoir de croiser de pareils zozos, sympathiques et hauts en couleurs…
Et il constitue une bien jolie mise en bouche au film d’Aki Kaurismäki, Le Havre, qui sortira en décembre prochain et qui évolue dans les mêmes sphères artistiques – poésie, fantaisie, humanisme et film socialement engagé – mais un petit cran au-dessus…

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La Fée La Fée
La Fée

Réalisateurs : Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy
Avec : Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy, Philippe Martz, Thérèse Fichet
Origine : Belgique, France
Genre : Conte de fées burlesque
Durée : 1h33
Date de sortie France : 14/09/2011
Note pour ce film : ●●●●○○

contrepoint critique chez : L’Express

 

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P.S. : Aux lecteurs havrais qui s’indigneraient de ce texte, et de notre vision de leur ville, le tout est évidemment à prendre au second degré…

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