Dans une salle de tribunal, une juge énonce d’une voix neutre les éléments du dossier opposant un couple divorcé. La mère, Miriam (Léa Drucker) a pour l’instant la garde complète des deux enfants, une fille de 17 ans et un garçon d’une dizaine d’années. Le père, Antoine (Denis Ménochet), désireux de voir ses enfants, a décidé de s’installer dans une localité voisine de leur nouveau lieu de résidence et a demandé la garde alternée, à minima un weekend sur deux, si possible une semaine sur deux.
Pourtant, comme le fait remarquer la magistrate, les enfants semblent ne plus vouloir le revoir. Joséphine, la fille aînée, à bientôt 18 ans, ne peut plus être contrainte de le voir et cela tombe bien car elle ne le supporte plus, mais son petit frère, Julien, reste concerné par la demande de garde et il a écrit un témoignage exprimant sans ambages qu’il ne souhaite plus que son père approche de leur foyer.
L’avocate de Miriam précise que si les enfants ne veulent plus voir leur père, c’est que ce dernier se montre souvent violent et menaçant avec leur mère. La défenseure d’Antoine proteste. Il n’y a aucune preuve de maltraitance et, comme les enfants sont gardés par leur mère, cette dernière a tout loisir de monter les enfants contre leur père. Qui croire? Comment trancher ce litige? La juge hésite, mais décide finalement d’accorder la garde alternée, un weekend sur deux, en pensant avant tout au bien de l’enfant.
Elle a sans doute minimisé le témoignage de Julien, estimant qu’il n’était pas suffisamment mature pour comprendre les tenants et aboutissants de ce conflit de grandes personnes. Pourtant, le jeune garçon a bien compris la situation et il est terrifié par la perspective de voir celui qu’il appelle désormais “l’Autre” approcher de nouveau sa mère et les replonger dans le même cauchemar.


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Ceux qui ont vu Avant que de tout perdre, le premier court-métrage multi-primé de Xavier Legrand, connaissent déjà le conflit qui mine cette famille et savent qu’Antoine est capable d’accès de violence terrifiants. Mais Xavier Legrand, intelligemment, laisse planer le doute sur le personnage du père. L’homme semble plus calme, assagi, et on le croit sincère quand il dit que ses enfants lui manquent. Peut-être a-t-il enfin accepté la fin de son histoire d’amour avec Miriam. Peut-être est-il prêt à renouer les liens avec son fils. Cependant, on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise en le voyant. Denis Ménochet y est pour beaucoup, avec son jeu très physique, tout en colère contenue. Le cinéaste l’amplifie lors des scènes où Antoine se retrouve seul avec son fils. Il est aussi massif, impressionnant et inquiétant que le gamin est vulnérable et terrifié, recroquevillé sur lui-même, enfermé dans le silence. Vu par le prisme du regard de l’enfant, il semble être un ogre menaçant de dévorer tout cru l’ensemble du foyer. Et vu avec nos yeux d’adultes, il apparaît plutôt comme un animal sauvage blessé, prêt à mordre.


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Alors, forcément, la tension monte, lentement mais sûrement, et la chronique familiale douloureuse se mue progressivement en une sorte de thriller, qui joue avec les nerfs du spectateur, lui donne des sueurs froides et le cramponne au fauteuil.
Xavier Legrand démontre l’étendue de son talent pour la mise en scène, fort justement récompensé d’un Lion d’Argent à la Mostra de Venise l’an passé, et pour la direction d’acteurs. Il est bien aidé, il est vrai, par ses comédiens, tous remarquables et au diapason de Denis Ménochet. Léa Drucker, tout en sobriété, incarne cette femme ayant réussi à reprendre sa vie en main après des années de coups et de domination. Et Thomas Gioria est bouleversant dans la peau de ce petit garçon qui, lui, doit encore réussir à tourner la page de cette histoire familiale douloureuse.

Si l’on ajoute la belle photographie de Nathalie Legrand et le montage au cordeau de Yorgos Lamprinos, tout concourt à faire de Jusqu’à la garde une vraie réussite cinématographique.
Mais, au-delà de l’aspect purement artistique, rarement ce sujet mille fois traité – les violences conjugales, la crise de couple et le divorce – aura été évoqué à l’écran avec une telle intensité, une telle acuité.
Grâce à son court-métrage et ce prolongement en format long, Xavier Legrand s’impose comme l’un des meilleurs cinéastes français. On souhaite à la suite de sa carrière la même réussite que ces débuts tonitruants.


Jusqu'à la gardeJusqu’à la garde
Jusqu’à la garde
Réalisateur : Xavier Legrand
Avec : Denis Ménochet, Léa Drucker, Thomas Gioria, Mathilde Auneveux, Florence Janas, Jean-Marie Winling
Origine : France
Genre : Thriller & drame familial
Durée : 1h33
date de sortie France : 07/02/2018
Contrepoint critique : Les Cahiers du Cinéma

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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