Evan Glodell

Nous avons eu la chance de rencontrer Evan Glodell, le réalisateur de Bellflower pour lui poser quelques questions sur son film. L’homme ressemble à son long-métrage : sympathique, énergique, un peu fou et brillant. Intéressant, forcément…
Interview apocalyptique.

Comment vous est venue l’idée de ce projet un peu fou qu’est Bellflower?

L’idée a germé dans mon esprit il y a longtemps, suite à une douloureuse rupture amoureuse.
J’ai écrit un premier jet du scénario sous le coup de la colère et du dépit. Puis je l’ai mis de côté. Il m’a fallu du temps pour me remettre de cette déception sentimentale, mais dès que j’ai surmonté ça, la première chose à laquelle j’ai pensé a été de faire ce film. J’ai retravaillé le script par la suite, quand j’ai eu plus de recul sur cette histoire.
Mais l’idée principale est venue de là.

Le film est difficile à catégoriser. Il est difficile de l’apparenter à un genre en particulier. Comment le décririez-vous?

J’ai beaucoup réfléchi à cette question. On me l’a beaucoup posée pendant la production du film et je me la suis beaucoup posée moi-même sans pouvoir clairement y répondre.
Maintenant, je dirais que c’est une histoire assez simple, qui peut déstabiliser parce que, chose inhabituelle, un tournant narratif s’effectue à la moitié du film, le coupant en deux parties distinctes, deux ambiances très différentes.
Au départ, c’est surtout l’histoire de deux amis. L’un d’eux entame une relation amoureuse avec une fille et ils doivent composer avec cet élément nouveau.
La structure du film en deux moitiés distinctes était présente dès le départ. Après, j’ai surtout cherché des éléments pouvant permettre de raconter cette histoire de façon originale, ou du moins un peu excitante.

En France, le film a été primé au Paris International Fantastic Film Festival, et a donc immédiatement été catalogué comme un film fantastique. Une appellation qui risque de dérouter un peu les amateurs de ce genre de film… 

Il a été présenté dans beaucoup de festivals de ce type, donc oui, d’une certaine façon, il s’agit probablement d’un film fantastique. Pas du début à la fin, pas de façon classique… C’est surtout une love-story qui contient beaucoup d’éléments fantastiques ou de choses étranges.

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Justement, ce qui est passionnant dans votre film, c’est cette façon de raconter une rupture amoureuse semblable à un apocalypse personnelle…

Cette idée d’apocalypse va encore plus loin que cela. J’ai toujours pensé que les gens qui sont obsédés par l’apocalypse, par les oeuvres traitant de la fin du monde, éprouvent des difficultés à trouver leur place dans le monde et trouvent du réconfort dans le concept de l’apocalypse, car il s’agit là d’une façon fantasmée de plier le monde à leurs envies, leurs désirs. Le monde est trop énorme. Il ne changera pas pour se conformer à vos envies. Les autres personnes ne changeront pas pour vous plaire. Aussi, l’idée de tout faire exploser est excitante, car à partir de là, vous pouvez recréer le monde tel que vous voulez qu’il soit… 
Mon film traite de cela. C’est la destruction psychologique d’un personnage qui mène à sa reconstruction, à son évolution…

Sinon, oui, bien sûr, vous avez raison dans votre analyse. Je pense qu’une relation amoureuse est semblable à une apocalypse émotionnelle, surtout quand elle devient très rude, quand le couple se déchire.

Est-ce que le nom de la voiture fabriquée, par les personnages, “Medusa”, fait référence à la figure mythologique? La Méduse était une créature à la fois attirante et dévastatrice, comme Millie, finalement…

Je ne sais trop comment l’idée du nom m’est venue. C’était totalement inconscient sur le coup et ce n’est que plus tard que j’ai fait le rapprochement avec la Méduse de la mythologie.
Ce qui est encore plus fort – et que j’ignorais avant de faire quelques recherches – c’est comment la Méduse mythologique a été créée. Au début, c’était la plus belle femme ayant jamais existé sur Terre, mais elle a été malmenée par les hommes et s’est ensuite transformée en la plus hideuse des créatures, détruisant les hommes d’un simple regard.
Millie est comme cela. Pour Woodrow, elle est la plus belle, la plus attirante des femmes, son idéal. Dans la première moitié du moins. Puis elle se transforme en son parfait opposé…

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A côté de cette histoire d’amour tortueuse, Bellflower est aussi un film sur la construction cinématographique, sur l’artisanat cinématographique…

Oui. C’est ce que je disais tout à l’heure sur l’apocalypse et la reconstruction.
Après cette rupture douloureuse, je me suis totalement impliqué dans la confection de ce film. En construisant le film, je me suis aussi reconstruit, d’une certaine façon…

    
Il y a aussi le côté “bricolage” des décors, des objets… J’ai lu que vous aviez même créé votre propre caméra pour le film…

C’est vrai…

D’ailleurs l’image est intéressante. Elle possède un grain particulier, qui fait un peu penser à l’esthétique desfilms des années 1970. Etait-ce volontaire?

C’est un peu ça, mais le but, c’était surtout d’arriver à un rendu “organique”.
Pour la caméra, j’ai toujours aimé les vieux objets, les vieilles choses. Je collectionne depuis longtemps les caméras et les optiques. J’ai fait pas mal d’expériences en combinant les filtres, les objectifs et j’ai trouvé le résultat surprenant.
Pour faire mon film, j’ai trouvé que cela collait parfaitement avec cette ambiance entre souvenir et rêves, et j’ai cherché à générer des images qui pourraient correspondre aux émotions des personnages.

Mad Max est une référence évidente sur ce film, mais y-a-t-il des auteurs qui vous ont inspiré?

En fait, je n’ai jamais voulu être cinéaste avant d’être devenu adulte. J’aimais le cinéma, bien sûr, mais j’ai grandi en regardant les mêmes films que les américains de ma génération. Ce n’est qu’après que je me suis intéressé à certains metteurs en scène. Et certains m’ont plus marqué que d’autres.
Si je devais faire une liste des cinéastes que j’apprécie, elle serait longue. Disons Lars Von Trier, Gaspar Noé, Wes Anderson et quelques titres de David Fincher dont je suis fou…

On sent un peu ces influences, mais ce qui est intéressant, c’est que vous les avez entièrement digérées pour façonner votre propre style…

C’est ma façon de fonctionner. Je suis ouvert à toutes les influences extérieures, mais je ne cherche pas à copier qui que ce soit. C’est pour cela que je ne suis pas à l’aise pour répondre à la question sur mes influences…
En fait, je n’ai jamais discuté de quelconques références avec mon équipe. Je ne disais pas : “Ce plan-là va être comme dans Mad Max, celui-ci va être comme dans tel film…” Non, jamais… On a fait le film librement, à notre façon.

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Justement, parlez-nous de votre équipe. Est-ce que ce sont des professionnels ou des amis que vous avez mobilisés?

La moitié a été recrutée par casting. L’autre moitié est composée de gens avec qui j’avais fait des courts-métrages avant. La plupart étaient des acteurs, mais ils ne travaillaient pas beaucoup quand j’ai démarré le projet.
En fait, j’ai écrit le script et à partir de là, j’étais sûr que le film se ferait d’une façon ou d’une autre. J’ai déjà choisi mes acteurs principaux et commencé à travailler avec eux. Puis j’ai du me concentrer sur les aspects techniques de la production : la caméra, les décors, les accessoires… Tout cela a pris du temps, mais je suis resté en contact avec eux pendant toute cette période. Ils sont devenus des amis proches. Quand on a vraiment commencé à tourner, il y avait une vraie connivence entre nous…

N’était-ce pas trop compliqué d’occuper un peu tous les postes derrière et devant la caméra?

Si! Terriblement! Au début, j’aurais d’ailleurs voulu une équipe plus étoffée, mais nous n’avions pas d’argent, alors nous avons du faire tout le film avec une petite poignée de personnes. Ca a été une expérience passionnante de voir tous les aspects de la production même si cela a été difficile à gérer. Il a fallu se lancer des défis : “Je peux le faire! Je peux faire le travail de 200 personnes!”… Et on a finalement réussi.
La seule chose que je n’ai pas vraiment aimé, c’est de me retrouver devant la caméra, car je n’avais pas trouvé d’acteur pour jouer mon personnage. Là je me suis dit “Oh mon Dieu! Dans quelle folie me suis-je lancé?

Vous avez même payé de votre personne en mangeant des grillons vivants

Ah ah ah! C’est une idée que j’ai eu très tôt, dès le début de l’écriture du scénario. J’ai aimé l’idée de cette rencontre un peu folle qui résume bien leur relation.
J’ai demandé à Jessie [Wiseman] ce qu’elle pensait de cette séquence et de ce qu’elle allait devoir endurer, elle m’a dit tout de suite “OK, je le fais!”. Et je lui ai dit : “Si tu le fais, je le fais aussi!”
Ca a été une réaction en chaîne, pendant tout le film. Nous nous sommes lancé des défis. C’est quelque chose d’amusant de s’impliquer à ce point dans un film, de se dire “je peux le faire!”.
Nous avons bien fait de procéder ainsi. Je pense que chaque chose insensée que nous avons mis dans le film le rend sensiblement meilleur.
Mais pour les grillons, c’est Jessie qu’il convient de féliciter. Moi je n’ai pas vraiment mangé les grillons. Elle oui!

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Si vous aviez un budget plus confortable, que changeriez vous dans votre film?

Ah ah ah… Je prendrais plein d’assistants. Non, c’est une blague…
Vous voyez la scène où la Médusa démarre au ralenti. C’est celle-là que je referais. Pour moi, c’est une scène-clé du film, un tournant pour Woodrow qui voit son travail se concrétiser, son rêve post-apocalyptique se réaliser.
Mais nous l’avons tourné dans l’urgence, un peu stressés.
Nous avons tourné dans un quartier résidentiel et ce démarrage en trombe, avec les pots d’échappement crachant des flammes, c’était évidemment illégal… Nous avions donc peur de nous faire arrêter et nous devions nous tenir prêts à décamper en moins de dix secondes, sans oublier de récupérer tout le matériel.

Est-ce que le film a été montré aux Etats-Unis? Comment a-t-il été accueilli?

Presque tous les grands critiques ont aimé le film, usant de termes inhabituellement élogieux. D’un point de vue critique, c’est un excellent accueil. Commercialement, ce n’est pas terrible, mais c’est à relativiser par le fait que Bellflower est un petit film.
Et surtout, le film m’a ouvert des portes qui restaient closes avant. Toute l’équipe a désormais des opportunités professionnelles. Nous avons maintenant notre destin entre nos mains et j’en suis fier et heureux.

Avez-vous des projets ?

Je travaille à l’écriture d’u nouveau long-métrage, mais je ne  préfère rien en dire pour le moment. De toute façon, ce sera différent de Bellflower, mais tout aussi compliqué à décrire…

Pour finir, qu’aimeriez-vous dire à nos lecteurs pour les convaincre d’aller voir votre film?

Oh! Question piège! Hum… Ah si, je sais ce que je peux dire :
Allez voir mon film! Soit vous l’apprécierez et ce sera très cool, soit vous le détesterez. Mais dans ce deuxième cas, vous pourrez vous dire, en guise de vengeance, que ceux qui ‘l’ont fait ont terriblement souffert, financièrement et émotionnellement, et qu’ils ne s’en sont pas encore remis…

Merci Evan Glodell de nous avoir accordé un peu de votre temps.

Entretien réalisé à l’Hôtel Bastille Marceau (Paris 12ème) le 15 mars 2012  

Bellflower

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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