Le bio, l’éco-attitude et toutes les philosophies mystico-environnementales qui vont avec, c’est bien, c’est sain, c’est la meilleure garantie de vivre longtemps…
Vous voulez une preuve ? D’accord…

Prenez un couple de canadiens moyens, Michael et Madeline Matheson. Lui est un sagouin qui mange de la viande à chaque repas – et même, parfois, du foie bien saignant, beurk! – et qui roule en 4×4 (hybride, certes, mais quand même…). Elle est végétalienne et adepte des thérapeutiques naturelles. Enceinte, elle ne veut surtout pas accoucher à l’hôpital, mais naturellement, sous protection d’une sage-femme…
Faites-leur maintenant subir un accident de la route et observez le résultat : Il se crashe la tête contre le pare-brise et meurt sur le coup tandis qu’elle s’en sort sans égratignures, ou presque…

Grace - 5

Le seul problème, c’est que le bébé qu’elle portait depuis près de huit mois semble ne pas avoir survécu au choc… Mais elle refuse d’aller à l’hôpital. Impossible  d’accepter l’idée de perdre cet enfant si près du terme, alors qu’elle a déjà vécu deux fausses-couches psychologiquement très douloureuses.
Sa sage-femme, sorte de gourou/goudou vaguement amoureuse d’elle, ne peut se résoudre à la raisonner. L’accouchement a lieu normalement et sans surprise, c’est un corps sans vie qui sort du ventre de la mère.
Mais contre toute attente, le nouveau-né se met à téter le sein maternel… Miracle! On vous avait bien dit que le naturel, c’est ce qu’il y a de mieux…

Oui enfin, ça va cinq minutes, les délires bio… Parce que c’est sympa de faire dans le tout bio tout beau, mais après, il faut en payer les conséquences. Parce que le bébé, une fille prénommée Grace, refuse de se nourrir avec le fade lolo maternel, tiré de mamelles nourries exclusivement au soja, tofu et autres tempeh.
Pour lui, “AB” ne signifie pas “Agriculture Biologique”, c’est un type de groupe sanguin, peut-importe le Rhésus… A Maman de subir des morsures aux tétons ou de se débrouiller pour préparer des biberons de sang. Et pas n’importe lequel, Messieurs-dames, du sang humain, s’il-vous-plaît !

Grace - 2

Prix du Jury à Gerardmer en 2009, Grace repose sur cette idée narrative toute simple et bizarrement peu exploitée au cinéma du bébé monstrueux.
Des enfants diaboliques, il y en a eu un bon paquet, des antéchrists et des possédés, mais des nourrissons, c’est plus rare.
Parmi les quelques cas connus, on peut citer Le Monstre est vivant de Larry Cohen ou le Baby blood d’Alain Robak. Et à la rigueur, le bébé-zombie de Braindead
Mais aucun de ces films ne traite frontalement du lien fusionnel mère-enfant, qui est au coeur du film de Paul Solet. Car malgré la nature particulière de son enfant, Madeline réagit de façon tout à fait naturelle, guidée par son seul instinct maternel et le besoin de protéger son enfant.
Quand les mouches viennent à rôder autour du bébé – qui, il faut le dire, sent un peu la charogne après un mois de mort clinique dans le ventre de maman… – elle se transforme en impitoyable chasseuse d’insectes et en bricoleuse du dimanche pour clouer des dizaines de tue-mouches au plafond…
Quand sa petite chérie a faim, elle lui donne le sein. Tant pis pour les douleurs, la fatigue et l’anémie…
Et si quelqu’un essaie de lui enlever son enfant ou de le considérer comme un sujet d’étude scientifique, elle est capable de tout, même du pire…

Grace - 4

L’amour maternel plus fort que la monstruosité de l’enfant…
De par ce thème, on se rapproche plus de Rosemary’s baby que des films précités. Le long-métrage culte de Polanski (et le roman d’Ira Levin) était effectivement le récit d’une grossesse difficile et de l’acceptation d’un enfant “différent” par sa mère.
Le jeune cinéaste ne cache pas cette influence que d’aucuns qualifieraient d’écrasante. Au contraire, il assume l’inspiration fournie par ses auteurs-fétiches, ceux qui ont bercé son enfance et son adolescence, la recycle et l’utilise pour pimenter un peu son scénario certes original, mais assez linéaire, en lui conférant d’autres ambitions artistiques.
Il parvient par exemple à créer un univers très particulier, morbide et troublant, peuplé de personnages étranges, inquiétants. Comme la belle-mère de Madeline (brillante Gabrielle Rose), bourgeoise coincée et conservatrice aux faux-airs de Margareth Thatcher, qui nourrit une curieuse obsession érotique autour de l’allaitement et oeuvre pour déposséder sa bru  de son bébé. Ou le médecin de famille un peu trop insistant (Malcolm Stewart)… Des figures bizarres, intrusives, évoquant facilement les premiers films de Polanski (Répulsion, Le Locataire…)…

Grace - 3

Mais le cinéaste polonais n’est pas la seule source d’inspiration de Paul Solet. On pense aussi à son concitoyen canadien David Cronenberg pour le côté très organique du film. Ou, à maintes reprises, à David Lynch, pour l’ambiance complètement décalée, aux accents oniriques et psychanalytiques. Quelques scènes font penser à Twin Peaks (la neige sur l’écran de télé, la lumière bleutée qui enveloppe Madeline…) ou, bien sûr à Eraserhead et à son bébé monstrueux…
Il emprunte d’ailleurs à Lynch l’actrice Jordan Ladd (impeccable, au demeurant dans ce rôle de mère tourmentée) qui a joué un petit rôle dans INLAND EMPIRE ainsi que dans le film  Cabin fever d’Eli Roth, un des protégés de l’auteur de Mulholland drive, lui-même mentor de Paul Solet (le monde du cinéma est petit…)

Mais cessons là d’énumérer ces références prestigieuses, qui risquent d’étouffer le bébé cinématographique de Paul Solet, aux ambitions plus humbles.
Car même si le jeune cinéaste laisse entrevoir un talent singulier et un style intéressant, il n’est pas encore au niveau de ces cinéastes majeurs et n’en a d’ailleurs pas la prétention.
Pour être apprécié à sa juste valeur, Grace ne doit pas être vu comme autre chose qu’un petit thriller horrifique bien ficelé, aux effets horrifiques efficaces et à l’ambiance glauque à souhait… (Et accessoirement, comme le premier film d’horreur estampillé “Bio”. Non ? Ah… Pourtant, il pourrait l’être…)

Grace - 6

Sa sortie en salle se fait d’ailleurs en catimini, dans le cadre de Cinemadness – opus 1, un programme de quatre petits films d’horreur atypiques diffusés en vidéo dans une vingtaine de cinémas en France, le temps d’une petite semaine…
Autres films de ce mini-festival : Petits suicides entre amis, Donkey Punch et Confession d’un cannibale. Tout un programme !

A noter, pour finir, que la diffusion des films Cinemadness repose sur un principe lui aussi assez original. Les cinéphiles internautes peuvent se rendre sur le site internet Cinémadness et investir sur la sortie de quelques films de genre sélectionnés parmi les plus originaux et les plus remarqués en festivals. Chacun a la possibilité de soutenir ses favoris et de miser sur leur succès en prenant des parts qui pourront s’avérer lucratives si le film fait un carton en salles… Un peu risqué, vu l’intérêt décroissant du public pour ce genre de films, mais audacieux et utile pour promouvoir de jeunes auteurs prometteurs…
Petite précision, Angle[s] de vue n’a pas pris de parts dans la distribution du film Grace. Notre avis est donc totalement objectif, comme toujours…

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Grace Grace
Grace

Réalisateur : Paul Solet
Avec : Jordan Ladd, Gabrielle Rose, Samantha Ferris, Malcolm Stewart, Stephen Park
Origine : Canada, Etats-Unis
Genre : Madeline’s baby
Durée : 1h25
Date de sortie France : 04/08/2010

Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Excessif
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