Avez-vous parfois des envies de meurtres?
Par exemple, quand vos crétins de voisins vous empêchent de dormir en regardant des âneries à la télévision, le son au maximum, avant que leur gueulard de rejeton ne se réveille et se mette à brailler pour le restant de la nuit, vous auriez bien envie de faire taire tout ce beau monde à coups de fusil à pompe, non?Et quand les mêmes voisins se garent comme des buses, bloquent votre propre véhicule et vous mettent ainsi en retard au travail, ce n’est pas l’envie qui vous manque de mettre le feu au véhicule avec eux à l’intérieur, hein?
Ah, et puisqu’on est sur un site de cinéma, quand vous allez dans une salle obscure et que des abrutis vous pourrissent la vie en parlant, téléphonant et se bâfrant bruyamment de pop-corn, n’êtes-vous pas tenté de faire appliquer vous-mêmes, et de façon expéditive, la seule sanction valable contre ces fâcheux : la peine de mort?
Avouez que c’est tentant… Comme il serait tentant d’éliminer de la surface du globe un bon nombre de casse-pieds et de connards nuisibles, de politiciens véreux, de leaders de groupuscules fachos incitant à la haine raciale ou à la haine tout court, d’intégristes hargneux, et, d’une manière générale, toutes les personnes qui, en participant à l’abêtissement général, mènent nos civilisation vers le chaos.
Evidemment, on ne passe pas à l’acte, déjà parce que cela représenterait beaucoup trop de personnes à éliminer, mais aussi et surtout car notre humanité et notre sens moral nous empêchent de céder à nos instincts les plus vils et les plus primaires.

God bless America - 3

Frank Murdoch (Joel Murray), le personnage principal de God bless America, éprouve de plus en plus souvent ces envies de meurtres. Il se désole de voir son entourage sombrer dans la bêtise la plus crasse, l’égocentrisme et l’irrespect vis-à-vis d’autrui. Il est las des conversation de bureaux autour d’émissions de télé-réalité plus vulgaires et abrutissantes les unes que les autres. Il ne supporte plus la méchanceté ambiante, les propagateurs de haine, les moqueries dirigées contre les plus faibles… Il aurait bien envie de se révolter violemment contre ces mentalités détestables, mais il se contente de ruminer son dégoût de la société américaine moderne, se servant de ses fantasmes meurtriers comme exutoire à sa colère.
Mais un jour, Frank perd son emploi, juste parce qu’une collègue à qui il a essayé d’être agréable l’a dénoncé pour “harcèlement sexuel”. Il tente de se consoler en essayant de passer un moment avec sa fille, qui vit chez son ex-épouse depuis leur divorce, mais il se rend compte que la gamine, capricieuse, insolente et égoïste, est déjà devenue une petite garce irrécupérable. Et pour couronner le tout, son médecin lui annonce, sur un ton insupportablement badin, que ses migraines sont dues à une tumeur cérébrale inopérable.

Frank pense à se suicider, mais il se dit qu’avant de passer de vie à trépas, il a le temps d’aller éliminer quelques personnes nuisibles à la société, et faire un peu de ménage. Il est vite rejoint par Roxane, une ado rebelle séduite par sa vision misanthrope de la société contemporaine. Ensemble, tels Bonnie & Clyde, ils se lancent dans une grande croisade meurtrière contre les symboles du déclin de l’empire américain, ceux qui ont transformé le rêve américain en cauchemar : héroïnes de la télé-réalité pourries-gâtées, extrémistes de tout poil, personnes inciviles et salopards irrespectueux…

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Devant ce film à la gâchette facile et à l’humour caustique, on entend déjà les critiques moralisateurs fustiger qui une hypothétique apologie de la justice expéditive et de la peine de mort, qui un film plus nauséabond que les personnes qu’il entend dénoncer, puisqu’il incite lui-même à la haine et à l’intolérance…
Ils ont le droit de penser cela, mais ils dû rater quelques épisodes du récit, ou alors ils se trompent lourdement sur les intentions du cinéaste.
Le but n’est certainement pas de faire l’apologie du meurtre et de la croisade criminelle. Loin de là…
Oui, le cinéaste cherche à forcer la sympathie du spectateur envers son couple de tueurs et il y parvient partiellement, car on ne peut que comprendre leur ras-le-bol face à la connerie ambiante. Il nous place dans la situation de complices de ce duo en cavale, et l’on éprouve un plaisir coupable face à leur jeu de massacre qui, à l’instar des fantasmes de Frank au début du film, sert d’exutoire à nos propres pulsions sadiques et violentes. Mais ce dispositif a surtout pour objet de nous bousculer, de nous mettre mal à l’aise et de provoquer la réflexion.

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On se rend compte que Goldthwait nous manipule, qu’il cherche à attiser notre colère face à la bêtise ambiante, ce qui est louable, mais aussi à flatter nos plus vils instincts – ce qui l’est moins, car ainsi, il nous rabaisse au même niveau que ceux qu’il fait exécuter au cours de son récit.  En souhaitant la mort de ces crétins pathétiques, nous ne valons pas beaucoup plus qu’eux, nous faisons preuve de la même violence, de la même méchanceté.
C’est là que le film prend tout son sens. Il n’est absolument pas question de glorifier la croisade meurtrière des deux “gentils” héros contre les “méchants” salauds. Le cinéaste cherche plutôt à mettre tout le monde dans le même sac – et nous avec – et montrer que la nature humaine n’est pas jolie-jolie…
Ses deux personnages principaux ne sont pas des modèles de vertu. Ils se pensent supérieurs aux autres – et ils le sont d’une certaine façon, car un peu moins idiots – mais ils ne valent pas mieux qu’eux sur certains points. Parce qu’ils sont violents, un brin sadiques. Parce qu’ils sont lâches. Parce qu’ils sont faibles…
Roxane est une menteuse et une allumeuse. Elle tue aussi pour que ses “exploits” soient relatés à la télévision, alors que la sur-médiatisation de toute chose est justement ce contre quoi ils sont censés lutter.
De son côté, Frank se rend compte qu’il est attiré par la jeune femme et qu’il n’est pas vraiment mieux que ces pédophiles qu’il fustige. On apprendra également qu’il partage certaines idées réactionnaires avec un présentateur télé d’extrême droite opposé au contrôle des armes à feu.
Non, ce ne sont pas des héros. Juste des êtres humains, avec ce que cela suppose comme vices et faiblesses…

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Cela amène à se poser quelques questions philosophiques. La nature humaine est-elle naturellement aussi nocive et corrompue? Quelle est la part de l’environnement dans lequel nous évoluons sur l’expression des aspects les plus laids de notre humanité?
On a dit que Frank et Roxane ne sont pas forcément beaucoup mieux que ceux contre qui ils partent en guerre, mais en même temps, eux aussi baignent dans cet univers abrutissant. Frank déteste ce qu’il voit à la télévision, mais il ne peut s’empêcher de la regarder. Jusqu’à quel point a-t-elle nourri sa misanthropie?
Si les personnages sombrent dans la violence, n’est-ce pas en réaction à une société de plus en plus violente, qui nous abreuve d’images agressives et de comportements stupides?  S’ils cassent les verrous qui faisaient d’eux des êtres civilisés, n’est-ce pas justement parce que la civilisation est en pleine décadence?
On peut trouver le film trop noir, trop nihiliste, mais il pose quand même un certain nombre de questions sur la civilisation américaine, mais aussi sur les civilisations occidentales en général. Il est d’ailleurs amusant de noter qu’à un moment du film, Frank et Roxy envisagent de partir se réfugier en France, vu comme un havre de paix, de finesse et de délicatesse. Hum… Comment leur expliquer que nos émissions de télévision, fortement inspirées des leurs, ne sont pas vraiment plus évoluées?

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On ne peut pas vraiment attaquer le film sur sa violence et son côté provocateur. A vrai dire, cela change des produits formatés que nous sert traditionnellement le cinéma US et de toutes ces bouses patriotiques ultra-conservatrices.
En revanche, on peut critiquer la forme. Notamment les baisses de rythme constatées en milieu de film, passés les premiers forfaits de ces Bonnie & Clyde des temps modernes. Ou une mise en scène un peu trop sage, parfois, qui tranche avec le côté fou furieux du récit…

Mais ces menus défauts n’empêchent pas God bless America de faire son petit effet, en dérangeant, en appuyant là où ça fait mal, en provoquant débats et polémiques. On ne sait pas si vous apprécierez son humour grinçant, son mauvais goût et son côté profondément nihiliste, mais une chose est sûre, c’est que si vous allez voir ce film, vous aurez passé une soirée à regarder autre chose que Secret Story, Confessions intimes ou autres bêtises télévisuelles. Et ce n’est pas plus mal…

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God bless America God bless America
God bless America

Réalisateur : Bobcat Goldthwait
Avec : Joel Murray, Tara Lynne Barr, Melinda Page-Hamilton, Maddie Hasson, Aris Alvarado
Origine : Etats-Unis
Genre : jeu de massacre
Durée : 1h40

Date de sortie France : 10/10/2012
Note pour ce film :

Contrepoint critique : Les Inrockuptibles

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