Le magnifique Le père de mes enfants traitait avec sensibilité du thème de l’absence et de la perte d’un proche.
Dans Un amour de jeunesse, la cinéaste Mia Hansen Love parle d’un autre type de deuil, celui d’un premier amour, généralement le plus beau, le plus fort, le plus riche en promesses et en opportunités. Et celui qui fait souvent le plus mal au moment de la séparation.

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Le film raconte l’histoire de Camille (Lola Creton).
À 15 ans, elle tombe amoureuse de Sullivan (Sebastian Urzendowsky), un garçon de 17 ans. Pas un petit béguin. Non, un amour passionnel, fusionnel. Quand il n’est pas à ses côtés, elle reste prostrée à attendre qu’il la rejoigne, dans un état de profonde mélancolie.
Lui est un peu plus distant. Il a d’autres projets dans l’immédiat. Puisqu’il atteint la majorité, il veut s’assumer, faire ses propres choix et décide de partir en Amérique du Sud avec des copains, afin de vivre sa vie sans contraintes.
Pour lui, cette séparation est indispensable. Pour que son couple avec Camille puisse avoir une chance de tenir – si toutefois ils se remettent ensemble plus tard -il estime qu’il faut que chacun puisse vivre des aventures séparément, pour ne rien regretter par la suite.

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La jeune fille a beau le supplier, lui faire un chantage affectif, rien n’y fait. Il part comme prévu, la laissant dans le plus total désarroi.
Au début, il écrit souvent, lui racontant même ses escapades amoureuses, ce qui insupporte Camille. Puis la correspondance s’espace beaucoup, jusqu’au jour où il lui écrit qui rompt avec elle. La jeune fille est dévastée, au point de faire une tentative de suicide.

Quatre ans plus tard, Camille essaie de se remettre de cette blessure amoureuse, en se concentrant exclusivement sur ses études. Elle s’intéresse notamment à l’architecture, qui devient peu à peu sa vocation. Choix tout à fait approprié pour une jeune femme qui doit apprendre à se reconstruire elle-même. Au contact de son professeur, Lorenz (Magne Havard Brekke), elle apprend comment illuminer l’espace, comment établir le contact entre l’intérieur et le monde extérieur. Elle dégage de nouveaux horizons.
Au bout d’un moment, la belle complicité qui l’unit à son professeur et leur admiration mutuelle se transforment en amour. Pas le même genre d’amour fusionnel qu’elle entretenait avec Sullivan, mais un amour plus serein, apaisé, plus cérébral que physique.
Pour reprendre le jargon de l’architecture, disons que Sullivan est un point de fuite, un élément central mais inaccessible et que Lorenz est une construction solide, bien équilibrée. Un bâtiment ancien, mais plein de charme, et Camille est bien décidée à signer le bail…

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Mais voilà. Un beau jour, elle apprend que Sullivan est revenu vivre en France et est de passage à Paris. Elle cherche à le rencontrer. Pour essayer de refermer définitivement la blessure amoureuse qu’elle a subie jadis? Pour comprendre pourquoi le garçon l’a ainsi laissée tomber alors qu’elle ne vivait que pour lui? Pour essayer peut-être, de tout recommencer à zéro avec son seul et unique grand amour? Ou au contraire pour se prouver qu’il ne représente plus rien pour elle?
Ne comptez pas sur nous pour vous dire comment tout cela va se terminer. Disons seulement qu’un amour de jeunesse est quasiment impossible à oublier, et que la passion est souvent plus forte que la raison. Mais pour en revenir à l’architecture, il s’agit d’un terrain glissant, un peu meuble, sur lequel il est difficile d’ériger des fondations…

Le film de Mia Hansen-Love, en tout cas, bénéficie de fondations solides, bâties selon les enseignements des maîtres-architectes de la Nouvelle Vague que furent Truffaut (pour la complexité du sentiment amoureux et la légèreté aérienne de la mise en scène) et surtout Rohmer (pour le côté moral, à la fois lumineux et cruel, de ces échanges sentimentaux, et le chapitrage du film au rythme des saisons).

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Certains trouveront peut-être l’histoire trop banale, déjà vue mille fois ailleurs… Nous rétorquons que s’il y a effectivement eu pléthore de films construits autour d’amours contrariées, peu sont aussi subtils. La cinéaste a réussi la gageure de capter totalement l’essence du sentiment amoureux et de la passion et de les restituer dans un film d’une retenue exemplaire. Sans effets mélodramatiques et donc très crédible, cette histoire parvient à émouvoir de façon universelle tous ceux qui ont déjà connu les affres de la rupture amoureuse, les tourments liés à un amour compliqué, et qui pourront se retrouver dans les personnages de ce beau long-métrage.

On va aussi nous dire que tout ceci un peu trop simple, justement… Nous préférons dire que le film est épuré, limpide, lumineux… Mais ce n’est pas parce qu’il relate des événements simples, de façon relativement linéaire, qu’il n’est pas habilement construit. Au contraire! Chaque plan fait sens. Tout est pensé, réfléchi, ajusté au millimètre.
La durée des séquences est savamment dosée, les cadrages sont d’une précision extrême, afin de jouer sur l’espace et le temps.
Triangle amoureux, ellipses narratives, personnages qui ne tournent pas toujours rond, jeu sur les perspectives et mise en scène carrée,.. Même  le scénario obéit à une logique géométrique, puisque il est surtout question de boucler la boucle tout en donnant l’impression de progresser paisiblement sur une ligne droite toute tracée. Evidemment, le film possède son lot de scènes symétriques et insiste sur la notion de cycles, comme celui des saisons qui accompagnent les sentiments des personnages et caractérisent leur humeur. Idem pour les chansons sélectionnées dans la bande-originale du film, toutes en phase avec les émotions de Camille.

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Surtout, la réalisatrice exploite bien mieux que nous sa parabole architecturale. Elle assimile un individu équilibré à une maison qui parvient à laisser entrer beaucoup de lumière tout en gardant quelques zones d’ombres intimistes, dans lesquelles il fait bon parfois replonger – des souvenirs d’enfance ou de jeunesse, par exemple…
L’ensemble pourrait être indigeste, certes… Mais le talent de Mia Hansen-Love est justement de rendre tout ceci parfaitement léger et profond en même temps, très fluide comme si l’oeuvre, à l’instar des personnages, était en perpétuel mouvement.
Elle a aussi eu le talent de s’entourer d’acteurs jusque là inconnus ou peu connus, mais néanmoins talentueux, comme la remarquable Lola Créton, épatante de fragilité et de pudeur, ou Magne Havard Brekke, subtil et élégant.
Sebastian Urzendowsky est un cran en-dessous, un peu moins juste par moments, mais reste crédible en éternel adolescent incapable d’assumer la force de ses sentiments.

En seulement trois films, Mia Hansen-Love s’impose comme l’une des plus intéressantes cinéastes françaises.
Non contente de réussir à restituer à l’écran des émotions complexes, elle crée des films qui possèdent à la fois du corps (un environnement esthétique soigné) et de l’esprit (des thématiques profondes et une réflexion sur l’art en général).
Des oeuvres qui laissent derrière elles une jolie trace, douce et mélancolique comme le souvenir d’un proche disparu ou d’un amour de jeunesse…

Aussi, si vous avez raté ce beau film lors de sa sortie en salle, nous vous conseillons vivement de vous le procurer en DVD (chez Les Films Pelléas), dans une édition agrémentée d’un livret de 28 pages (contenant les textes des chansons du film, des extraits de dialogues-clés et de discours sur l’architecture), et d’un entretien audio entre la cinéaste et Laure Adler. Deux suppléments qui permettent de mieux appréhender la démarche de la cinéaste et la construction de son long-métrage. A noter que le même éditeur commercialise aussi les deux précédents films de la cinéaste, Tout est pardonné et  Le Père de mes enfants, à découvrir absolument…

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Un amour de jeunesse Un amour de jeunesse
Un amour de jeunesse

Réalisatrice : Mia Hansen-Love
Avec : Lola Créton, Magne Havard Brekke, Sebastian Urzendowsky, Valérie Bonneton
Origine : France
Genre : l’architecture de l’amour
Durée : 1h50
Note :  

 

 

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BONUS

– Livret de 28 pages contenant extraits de dialogues, photos, paroles des chansons
– Entretien radiophonique entre Laure Adler et la réalisatrice
Note globale des bonus :

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DVD9 Zone 2 – PAL – Couleur – Format 1.85 -16/9 compatible 4/3
Durée totale : 120 mn
Langues : Français Dolby 5.1 ou SRD Sous-titres : Français

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EDITION / DISTRIBUTION

Les Films PelléasSortie le : 07/02/2012

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1 COMMENT

  1. Très belle critique, qui rend parfaitement compte de la puissance et de la légèreté du film. Lola Creton y déploie un charme infini. Une réussite totale fort bien retranscrite par ces quelques lignes. Bravo

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