Rachel Gladstein, neuf ans, grandit dans la France du début des années 1980. Elle est entourée par des parents surprotecteurs et gentiment farfelus, du genre à lui refuser l’inscription au “club des amies de Barbie” car la “fille en plastique avec des cheveux en nylon filasses” est “fabriquée en Chine par des enfants orphelins et victimes de la mondialisation”, mais à lui offrir à la place, pour son anniversaire, un prospectus pour parrainer un petit africain victime de la famine. Comment s’étonner, après cela, que la gamine soit en proie à quelques petites angoisses, qui la conduisent, par exemple, à dormir toute habillée, avec son cartable sur le dos… Le fait de devoir partager sa chambre avec sa grand-mère, mal en point après une attaque cérébrale, n’arrange pas les choses…
La psychologue l’aide un peu, en lui prêtant une oreille attentive et surtout en symbolisant une figure d’adulte responsable et saine d’esprit, contrairement au reste de son entourage, de ses parents à son institutrice, Madame Danielle, peau de vache en classe et chatte en chaleur après les cours, lors d’ébats adultérins avec un de ses collègues.
Mais ce que Rachel recherche, ce sont surtout des liens amicaux, avec Barbie, certes, mais aussi avec de vraies filles. Hélas pour elle, les filles de sa classe préfèrent être amies avec Marina Campbell, une fille aux longs cheveux lisses, comme Barbie et que tout le monde trouve “cool” parce qu’elle a récemment perdu sa mère. Mais une de ses camarades, pourtant, sympathise tout de suite avec elle. Elle se prénomme Valérie, a des couettes de chipie façon Punky Brewster, de l’énergie à revendre, de l’audace et un coeur gros comme ça – plus exactement une hypertrophie ventriculaire…
Ensemble, elles vont faire les quatre cent coups pendant que leurs parents vont, eux aussi, se rapprocher, d’une autre façon…
La mère de Valérie, Catherine, est une charmante divorcée en quête d’un nouveau compagnon. Les parents de Rachel, Michel et Colette, voient leur couple s’émousser au fil des années. Forcément, quand Michel propose à Catherine de rénover entièrement sa cuisine alors que celle de son foyer tombe presque en ruines, Colette comprend que son mari est en train de l’abandonner peu à peu… Et les relations du trio, d’abord cordiales, évoluent vers plus d’hostilité à mesure de l’affection grandissante entre Catherine et Michel…
Du vent dans mes mollets, adaptation d’un roman de Raphaële Moussafir (1), navigue entre deux eaux. Les eaux claires d’une comédie légère, joliment farfelue, aux dialogues irrésistibles de drôlerie et de cruauté, et celles, plus profondes, d’un film abordant des sujets plus graves, plus lourds, plus tragiques, de quoi provoquer une lame de fond capable de nous submerger d’émotion le moment voulu.
On s’amuse des névroses des adultes qui peuplent le film, et on rit de bon coeur aux pitreries des deux gamines, absolument craquantes. Les trentenaires/quadragénaires qui ont grandi au début des années 1980 apprécieront notamment de les voir revisiter, à leur manière, la télévision française de l’époque, entre “Les Jeux de 20h” et “Dallas”. Un grand moment de nostalgie rigolarde… Les autres poufferont lorsque Rachel affirme naïvement au directeur de l’école que sa maîtresse “suce des mites”…
Mais derrière le rythme enlevé de la comédie et les situations cocasses, il y a un récit hanté par l’idée de la mort…
La “mort” du couple, déjà, redoutée par Colette, qui se sent vieillir et sent que son mari tombe amoureux d’une autre. Mais aussi la mort au sens propre, au passé, au présent, au futur…
Le père de Rachel, enfant, a été déporté à Auschwitz en même temps que le reste de sa famille. Il est le seul à en être revenu vivant. Il ne parle pas trop de son passé, mais on le sent encore tourmenté par cette période de sa vie, par ces souvenirs d’enfance douloureux.
La grand-mère de la fillette est âgée et mal en point. On la devine proche de la fin. Et sans doute elle aussi a-t-elle dû traverser quelques épreuves au cours de son existence…
Il y a aussi le deuil de Marina, la camarade de classe qui a perdu sa mère. Et les pensées sombres de Rachel, qui aimerait, elle, parfois, que ses parents à elle disparaissent…
Pendant un temps, on pressent l’imminence d’un drame. On imagine différents scénarios : décès de la grand-mère, ou d’un des parents, laissant Rachel orpheline. Puis la légèreté du récit reprend peu à peu le dessus et repousse cette idée morbide… jusqu’au dénouement, surprenant, qui vient nous cueillir à froid et nous laisser avec une grosse boule d’émotion au fond de la gorge, plus quelques larmes au coin des yeux alors que défile le générique, avec en fond musical une chanson de Barbara qui file des frissons à chaque écoute, “Mon enfance”…
On comprend alors ce qui a pu intéresser Carine Tardieu dans le roman de Raphaële Moussafir. Les deux femmes se ressemblent. Elles évoluent dans des univers artistiques proches, entre fantaisie et sensibilité, ont les mêmes références, les mêmes goûts (2). Elles sont aussi de la même génération, et ont surtout vécu peu ou prou la même expérience, étant élevées par des parents fantasques et confrontées au deuil au moment charnière de leur enfance.
Carine Tardieu avait projeté un peu de son histoire personnelle dans deux très jolis courts-métrages et La Tête de maman, un premier long épatant qui traite de sujets douloureux (deuil, rapports humains compliqués, passage à l’âge adulte) avec sensibilité, humour et poésie. Elle s’est retrouvée dans le récit autobiographique de Raphaële Moussafir. Cette trame narrative lui a donné l’occasion de laisser s’exprimer son imagination débordante et de nous emporter dans son univers doux-amer, qui a la texture des souvenirs d’enfance et des rêves brisés, et qui transcende le réel grâce à la fantaisie, à l’instar des films de ses amis Baya Kasmi et Michel Leclerc (3). Ce qui nous impressionne, ici, comme dans son précédent long-métrage, c’est cette faculté de retrouver la candeur enfantine, la magie de l’enfance et de les opposer à des problématiques adultes douloureuses, afin de les adoucir un peu, les rendre plus supportables.
On est également admiratifs de la direction d’acteurs de Carine Tardieu. La cinéaste sait parfaitement choisir ses comédiens et en tirer le meilleur.
Après avoir révélé la jeune Chloé Coulloud, elle a de nouveau déniché deux gamines attachantes et bluffantes de spontanéité Juliette Gombert, qui incarne la sage Rachel, et Anna Lemarchand, qui fait preuve d’une belle énergie dans le rôle de Valérie, la copine bavarde et dévergondée.
Mais les adultes sont aussi formidables.
Denis Podalydès (le père de Rachel) évolue dans son registre préféré, celui d’un type ordinaire, un brin lunaire, capable de beaux élans de tendresse et de réparties vachardes et cyniques.Judith Magre (la grand-mère de Rachel) se sort magistralement d’un rôle quasi-mutique, réussissant à montrer les nuances de son personnage en quelques regards, au cours de très belles scènes. Isabelle Carré est également très touchante en mère-célibataire, suffisamment spontanée et naturelle pour que son personnage soit crédible, et suffisamment charmante pour que l’on craque immédiatement pour elle, comme Michel.
Et puis il y a Agnès Jaoui, superbe, drôle, émouvante, dans ce rôle de femme entre deux âges, qui s’empâte et subit l’usure du temps, l’usure du couple, mais compense par une énergie folle et une force de caractère hors du commun (sans parler d’un don inné pour faire les boulettes de viande…)
Peu d’actrices réussissent à négocier ce cap de leur carrière, par peur de se montrer au crépuscule de leur beauté physique ou de risquer de se voir vieillir à l’écran. Jaoui, elle, assume et montre qu’à presque cinquante ans, elle n’a rien perdu de son charme et de ses qualités d’actrice, malgré le poids des années.
Ses échanges avec Isabelle Carré sont de beaux moments de cinéma, qui tirent encore un peu plus vers le haut ce joli film.
Merci à ces acteurs, tous magnifiques, jusqu’aux second rôles, et merci à Raphaële Moussafir et Carine Tardieu pour cette oeuvre lumineuse et pleine de tendresse, qui fait rire, émeut, nous bouleverse même et nous laisse, au final, pantelants d’émotion, avec du vent dans les mollet et des étoiles plein les yeux…
(1) : “Du vent dans mes mollets” de Raphaële Moussafir – éd. J’ai lu / Et pour les bédéphiles de notre rubrique-à-brac, existe aussi en BD, sous le même titre, par Raphaële Moussafir et Mam’zelle Rouge – éd. Intervista
(2) : Par exemple, Carine Tardieu a choisi la chanson de Barbara pour son générique de fin sans savoir que Raphaële Moussafir l’avait elle aussi choisie pour raconter son histoire sur scène.
(3) : Les auteurs du Nom des gens sont cités dans les remerciements au générique et Michel Leclerc est le nom donné, dans le film, à l’amant de l’institutrice…
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Du vent dans mes mollets
Du vent dans mes mollets
Réalisatrice : Carine Tardieu
Avec : Juliette Gombert, , Agnès Jaoui, Isabelle Carré, Denis¨Podalydès, Judith Magre, Anna Lemarchand, Isabella Rossellini
Origine : France
Genre : souvenirs d’enfance poignants
Durée : 1h29
Date de sortie France : 22/08/2012
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : Première
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Très belle critique qui donne vraiment envie d’aller voir ce film ! Merci ! Je crois que je vais emmener ma petite famille le voir ce soir…