Hypnotic[Hors-Compétition, Séance de Minuit]

De quoi ça parle ?

D’un inspecteur de police, Danny Rourke (Ben Affleck), traumatisé par la disparition de sa fille, probablement enlevée et tuée par un pédophile, mais dont le corps n’a jamais été retrouvé. Alors qu’il reprend son travail après quelques semaines d’arrêt, son coéquipier et lui reçoivent un appel anonyme indiquant qu’une banque est sur le point d’être braquée. Sur place, ils remarquent un homme au comportement suspect (William Fichtner), qui semble capable d’influencer le comportement des personnes qu’il croise et les faire agir de façon étrange, contre leur volonté. Plus étrange encore, dans le coffre ciblé, Danny trouve une photo de sa fille avec l’indication “Find Lev Dellrayne”.

Ca, c’est pour le pitch officiel, déjà bien tordu… Plus tard, Rourke fait la connaissance d’une cartomancienne, Diana Cruz (Alice Braga), et découvre que l’affaire pourrait bien impliquer un programme secret gouvernemental autour de personnes ayant un don pour l’hypnose plus puissant que la moyenne.

Mais si on doit résumer le truc en quelques mots, disons juste que c’est un concours de twist acrobatique, option n’importe nawak, glacé au jus de navet

Pourquoi une critique aussi tête à clacs ?

Vos paupières sont lourdes… Dormez, je le veux ! Je vais compter jusqu’à trois et vous serez un critique ultra-optimiste et enthousiaste au-delà du raisonnable. Un, deux, trois, clac…

Mais quel grand film ! Mais quel chef d’œuvre absolu ! Avec Hypnotic, Robert Rodriguez signe bien plus qu’un thriller d’action mâtiné de science-fiction ou un banal divertissement. C’est une expérience transcendantale qui repousse les frontières du possible. Ce film nous rappelle la puissance du cinéma en tant qu’art, sa capacité à nous émerveiller, à nous émouvoir et à nous faire réfléchir sur notre existence.
Son scénario est si subtil que l’on se demande comment un cerveau humain a pu élaborer… clac… une bouse pareille. Il passe son temps à chercher à expliciter les trop nombreux retournements de situations dont il est parsemé et on se demande d’ailleurs comment les acteurs parviennent à s’y retrouver sans se poser des questions existentielles profondes comme « Qui suis-je ? Moi-même ou William Fichtner ? » ou « Si j’en suis à mon quatrième retournement de veste, doit-on encore me considérer comme un traître ? ».
Argh ! Oui, vous aurez constaté que le ton de la critique a lui-même été victime d’un twist. Je me suis auto-hypnotisé et transformé en un critique féroce, par exemple en un Philippe Rouyer devant faire la critique de Camping 4 après avoir visionné Les Herbes Sèches, L’Enlèvement et Perfect Days. Ah, il faut suivre. Comme le scénario d’Hypnotic, qui change de cap à intervalles réguliers.
Dans L’avenir sera radieux, Netflix demandait à Nanni Moretti d’insérer à son scénario un premier rebondissement narratif dès la quatrième minute. Evidemment, le cinéaste italien restait perplexe face à cette demande saugrenue. Pas Robert Rodriguez, visiblement, qui coche toutes les cases demandées par la plateforme et va même plus loin… Clac (quand il y a un clac, c’est qu’il y a de nouveau hypnose ou contre-hypnose, j’explique tout bien pour les lents, comme Rodriguez dans son film…). Du coup, ce long-métrage est d’une incroyable modernité et nous stimule comme le faisaient jadis les chefs d’oeuvres d’Alfred Hitch-clac.

Euh… Robert Rodriguez dit avoir voulu rendre hommage à Hitchcock. Mouais… Pas évident à première vue, car si le titre sonne un peu comme Vertigo et évoque vaguement La Maison du Docteur Edwards, on peine à trouver beaucoup de points communs entre les intrigues ciselées de Sir Alfred et cet avorton d’intrigue qui se casse la colonne vertébrale à force de vouloir trop twister. Clac.
Mais astucieusement, il glisse dans son film une scène de douche qui – ô joie – viendra caresser le cinéphile dans le sens du à-poil en lui évoquant une scène mythique de Psychose. Personne n’avait eu cette audace avant, sauf oubli de ma part (et je rappelle à Brian de Palma que je suis sous hypnose). Ah, la douche… Clac… La douche froide, oui… Laissons le maître du suspense reposer en paix. Il n’a rien à voir avec ce truc qui ne fait monter la tension qu’en agaçant prodigieusement.

Non, si l’on avait voulu voir un quelconque « hommage » là-dedans, on aurait plutôt pensé à un tribut à… Clac… Christopher Nolan. Hypnotic est une véritable déclaration d’amour à son cinéma, ses intrigues tortueuses et ses univers visuels complexes et malléables, contenant des éléments psychanalytiques. Le détective effectue une forme d’enquête à rebours lui permettant de retrouver une trace potentielle de sa fille chérie? On pense illico à Memento. L’image devient distordue et semble se replier sur le personnage? On est dans Inception. Clac.

Inception? Une déception, ouais… Clac. A l’écran, c’est visuellement sublime et surprenant. Clac. C’est surtout un peu cheap comparé aux visuels du film de Nolan, mais à la décharge de Rodriguez, il n’a pas tout à fait le même budget… Clac. Le cinéaste mexicain s’amuse avec cette trame ambigüe qui oblige constamment le spectateur à se demander “Est-on dans le réel ou un univers fantasmé ?”,  “Le personnage est-il sous hypnose ou sous hypnose dans l’hypnose?”, “Qui manipule qui ?” – clac – “Qu’est-ce que je fous là?”…
Le cinéaste ne laisse pas le temps de s’attacher au personnage et dès lors, on se moque royalement de sa quête, ce qui n’aide pas vraiment à supporter tous ces revirements à répétition. Mais le pire, c’est que ce qui nous est présenté à l’écran est particulièrement grotesque. Exemple 1 : Dellrayne/William Fichtner discute avec une femme sur un banc public sur un banc et lui dit “Il fait très chaud aujourd’hui. Une vraie fournaise.” –clic (je fais clic pour ne pas confondre avec “clac”, mais si vous préférez, utilisez “Shebam”, “pow” ou “wiz, hein…)- et, au bout de quelques minutes, la dame fait un striptease en pleine rue et court à poil au milieu de la circulation ce qui crée quelques accidents puisqu’aucun panneau n’indique le passage de bitches dans le secteur. Scène ridicule et totalement inutile, rétrospectivement, puisque Rourke ne voit rien de tout cela, occupé à traquer son Messmer à l’intérieur de la banque. Le seul intérêt est soit d’abuser le spectateur soit lui faire comprendre, idiot qu’il est que Dellrayne est un hypnotiseur redoutable – Clac. Non, sérieusement? Je n’aurais jamais pensé… – Clac.

Exemple 2 : Quand le coéquipier de Rourke est lui-même sous emprise de l’hypnotiseur, il a pour ordre de tuer celle qui peut lui révéler la vérité, Diana (Alice Braga). Il est tellement obsédé par sa tâche qu’il se transforme en une sorte de zombie assez ridicule prêt à se déchirer la main pour essayer d’attraper un revolver et faire la peau de ses cibles. Grrrr… grrrrr… grrrrr… (“Est-ce bien lui qui grogne ou mon subconscient, effaré par un jeu d’acteur aussi nul?”) Et que fait l’empoté de Rourke. Il lui parle “Ben mon pote, qu’est-ce qu’il t’arrive? Prends une verveine…”. – Clac – Quel beau film humaniste, ouvert à l’autre, à la différence, à la diversité! – Clac – A sa place, beaucoup de personnages normaux auraient commencé par récupérer le flingue pour éviter toute tentation et auraient pris la poudre d’escampette. Ou mis une balle entre les yeux du grognon, c’est plus bourrin, mais ça marche aussi… Ah, ce n’est pas chez Hitchcock qu’on verrait ça, c’est clair… Ni chez Nolan d’ailleurs. Ni même chez Mel Brooks, qui avait le sens de la parodie et de l’hommage rigolard.
Ceci dit, Hypnotic est drôle, justement parce que ces séquences absurdes et mal jouées sont réalisées avec un sérieux papal, au premier degré, avec un Ben Affleck monolithique, sourcil froncé et bat-mâchoire serrée. On a connu l’acteur plus inspiré. Robert Rodriguez aussi. Même en ne voyant dans le film qu’une petite série B, on peut se lasser des incohérences scénaristiques, des baisses de rythme d’un récit par ailleurs dopé aux revirements de situation (Hypotonique, Hypnotic?) et du manque d’ambition artistique de l’équipe.

A trois, vous allez vous réveiller… Un, deux, trois, clac…
Wah… J’ai rêvé que j’étais au festival de Cannes, l’un des festivals de cinéma les plus exigeants au monde en termes de qualité artistique et technique, de films d’auteurs inspirés et inspirants. Je voyais plein de bons films très différents, des documentaires, des films de fiction, de l’animation, du cinéma de genre, des œuvres de toutes nationalités, de toutes cultures. Onze jours passaient sans accroc et j’assistais à une dernière séance de minuit avant la clôture du festival. Et là, je devais subir une espèce de nanar au scénario tarabiscoté, platement réalisé et joué par des acteurs sous éther, en bref, un film indigne du standing d’un festival de classe A. Heureusement que ce n’était qu’un exercice d’hypnose, hein…
Non ? Ah bon…

Contrepoints critiques :

”It’s all sleight of hand, designed to make us care about a story and characters that don’t exist, so why not embrace that spirit in the execution? Most of the time, “Hypnotic” looks great (embracing the widescreen format, Rodriguez shared cinematography duties with Pablo Berron, who lit the atmospheric scissors scene), but occasionally, you can see the seams — which is fine, since it’s all a construct anyway.”
(Peter Debruge – Variety)

”Every now and then a movie comes along that defies a conventional rating system. We’re not talking about a movie that’s so good it’s hard to talk about, but more one that is objectively bad yet also entertaining at the same time.”
(Ian Sandwell – Digital spy)

”Le thriller hitchcockien voulu se révèle surtout une grosse série B tendance Z assez idiote. Et c’est franchement dommage tant il se cache sans doute un film très correct derrière toutes ces idées nanardesques.”
(Alexandre Janowiak – Ecran Large)

Crédits photos : Copyright Hypnotic Film Holdings LLC – images fournies par le festival de Cannes

REVIEW OVERVIEW
Note:
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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