Hier, la Croisette voyait double. Aujourd’hui, elle devient dingue, tapée, agitée du bocal… Mieux, complètement marteau!

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C’est l’expression qui convient le mieux au film de Lynne Ramsey, You were never really here, dans lequel un ancien soldat part à la rescousse d’une gamine enlevée par un réseau pédophile, et se fraie un chemin au milieu des malfrats à coups de… marteau. L’enquête réveille les propres blessures du personnage, ses propres traumas, exacerbe son syndrome post-traumatique et le plonge dans une certaine confusion, qui gagne aussi le jeu de l’acteur qui l’incarne, Joaquin Phoenix, tendu, crispé, habité par la folie, et la mise en scène de Lynne Ramsey. La cinéaste entrelace souvenirs, fantasmes et réalité, joue sur les ellipses et les scènes-choc, avec une maîtrise technique qui laisse pantois. Il est à parier que certaines scènes de ce film marqueront durablement les rétines des festivaliers.
Cependant, cette virtuosité formelle, un peu trop voyante, masque le manque de fond du récit. On comprend la logique de la cinéaste : faire un film fou sur une société devenue complètement folle, déviante et brutale. Mais le scénario manque trop de matière et de complexité pour convaincre totalement.
Reste la sensation d’avoir vécu une expérience cinématographique assez extrême, dont on sort secoué, presque aussi traumatisé que le personnage principal. Cela pourrait bien offrir la Palme d’or à la cinéaste britannique. Car dans cette compétition cannoise 2017 où peu de films se démarquent, le jeu est très ouvert.

d'après une histoire vraie - 2
Dans le dernier film projeté hors compétition, D’après une histoire vraie, les personnages ne semblent pas très équilibrés non plus. Emmanuelle Seigner incarne Delphine, une romancière à succès qui traverse une petite crise personnelle : grosse fatigue, syndrome de la page blanche, difficulté à trouver de nouveaux sujets à traiter… Un soir, alors qu’elle cherche à fuir ses obligations professionnelles, elle rencontre une admiratrice, Elle (Eva Green), qui sait l’écouter, trouver les mots pour la réconforter, et même lui donner des conseils pour son prochain roman. Séduite, Delphine laisse cette étrangère s’immiscer de plus en plus dans sa vie, sans réaliser qu’Elle cherche à en prendre le contrôle. Ses raisons sont assez obscures. Veut-elle obliger l’écrivain à livrer un nouveau roman encore plus personnel, plus intime? Veut-elle devenir sa meilleure amie, de manière exclusive, écartant tous ses proches? Ou veut-elle prendre sa place, signant ainsi la revanche des petits écrivains, des “nègres”, sur les auteurs installés?
Toujours est-il qu’elle se montre de plus en plus inquiétante au fil des jours, laissant présager pour Delphine d’un calvaire à la Misery (dont l’héroïne, incarnée par Kathy Bates, maîtrisait elle aussi très bien le marteau…).
En adaptant le roman de Delphine de Vigan, Roman Polanski peut continuer à explorer ses thématiques habituelles : les affres de la création artistique, les “nègres” ou “ghost-writers”, comme le titre de l’un de ses meilleurs films, les troubles de l’identité, l’irruption d’éléments inquiétants, fantastiques, qui viennent container le réel, et les mécanismes conduisant à la folie.
Ce n’est sans doute pas son oeuvre la plus puissante, mais D’après une histoire vraie n’en demeure pas moins un long-métrage réussi, qui restitue bien l’esprit du roman dont il est tiré.

une nuit douce - 2
Cette onzième journée du festival a aussi été marquée par la projection des neuf courts-métrages en compétition, en présence du jury, présidé par Christian Mungiu.
De cette sélection assez inégale, on retiendra le joli film d’animation de Lucrèce Andreae, Pepé le morse, sur le thème du deuil, le très décalé Katto du finlandais Teppo Airaksinen, et deux films qui, en raison de leur maîtrise de la mise en scène, devraient se disputer la Palme du Court-métrage : Across my land de Fiona Godivier, terrifiant portrait d’une famille américaine à la frontière mexicaine, et Une nuit douce de Qiu Yang, qui montre la quête d’une mère à la recherche de sa fille disparue.
Reste à voir ce que le jury en aura pensé.

On attend aussi avec impatience le palmarès des longs-métrages. Maintenant que tous les films ont été projetés, c’est au jury de Pedro Almodovar de faire des choix.
Verdict dimanche soir, lors de la cérémonie de clôture…

Palmarès Un certain regard 2017
Le jury de Un certain Regard, présidé par Uma Thurman, a, lui, déjà remis ses récompenses.
C’est l’excellent film de Mohammad Rasoulof, Un homme intègre, qui remporte le Grand Prix.
Taylor Sheridan repart avec le prix de la mise en scène pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Wind River. Ce thriller noir et brutal ayant pour cadre la réserve indienne éponyme et les grands espaces du Wyoming a secoué les festivaliers.
Michel Franco repart avec le prix du jury pour Les filles d’Avril, cinq ans après avoir été récompensé, dans la même section, pour Después de Lucia.
Mathieu Amalric glane un inédit “prix de la poésie” pour son travail sur Barbara.
Enfin, la sublime Jasmine Trinca remporte le prix d’interprétation pour la comédie de Sergio Castellitto, Fortunata.

A moins qu’on ne se prenne un coup de marteau de la part de Joaquin Phoenix ou qu’on ne se retrouve séquestrés par des cinéphiles frappadingues (pléonasme), à demain pour la suite – et la fin – de nos chroniques cannoises.

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