© Pierre Björk– Hé, les gars, j’aimerais bien présenter un film en compétition au festival de Berlin, mais je ne sais pas trop comment faire…
– Tu n’as qu’à faire un film sur un écrivain maudit, tourmenté ou opprimé par un régime totalitaire. Ca marche bien, ça, d’habitude…
– Oui, mais là, il y en a déjà beaucoup… Entre Dovlatov, The Happy Prince et Becoming Astrid, les gens vont se lasser…
– Ah? Alors un film politique? Une critique sociale féroce?
– Hum, pas mal… Mais qu’est-ce qu’on peut bien trouver à critiquer en Suède? Tout le monde vante les qualités des modèles sociaux scandinaves?
– Tu n’as qu’à dénoncer les problèmes de l’immobilier en Suède. Les prix sont scandaleusement élevé et personne ne s’y retrouve. Ni les locataires, ni les propriétaires…
– Hé ouais! Super idée! On n’a qu’à imaginer une histoire où une septuagénaire oisive hérite d’un immeuble à Stockholm, pensant trouver une source inépuisable de revenus via les loyers, mais réalisant peu à peu qu’aucun des locataires n’a de contrat en bonne et due forme et que les appartements sont mêmes sous-loués, au mépris du règlement intérieur… Elle serait en conflit avec son demi-frère et son neveu, qui jusqu’alors géraient les lieux de manière catastrophique. Cool! Mais vous pensez vraiment que ça va tenir la distance sur 90 minutes?
– Oui, mais tu peux faire traîner un peu, en faisant une sorte de film expérimental. Ils aiment ça, à la Berlinale. Tu construis ton film comme une sorte d’errance, le cauchemar éveillé du personnage principal, avec une multiplication de travellings et de gros plans un peu flous, quelques jeux de miroirs et hop, c’est emballé! Tu rajoutes une musique envahissante par-dessus et avec un peu de chance, les spectateurs penseront à Sorrentino. Mieux, tu rajoutes des bruits amplifiés et des sifflements, un peu comme si le personnage avait des acouphènes. Avec un peu de chance, les gens trouveront ça lynchien…
– Oui, mais ça risque aussi de faire fuir le public traditionnel, ça…
– Alors tu rajoutes une pincée de sexe : la grand-mère qui s’envoie en l’air. Les intellos verront peut-être cela comme la tentative de briser le tabou de la sexualité des seniors. Et tu rajoutes aussi de l’action, des fusillades. On n’a qu’à dire que l’héroïne découvre un stock d’armes à feu dans sa maison de campagne et qu’elle devient un sorte de Rambo en jupons… Cool, non? Et puis elle pourrait apprendre à fabriquer des bombes et des cocktails molotov pour faire fuir les squatteurs de son immeuble.t
– Génial! Mais j’aurais aussi vu un  peu de comédie musicale dans l’histoire. Je peux? Alors on n’a qu’à dire que le conseiller juridique de la famille est aussi le créateur d’un show musical sur les sans-abris. Et hop! La boucle est bouclée!
– Avec ça, la sélection en compétition est assurée!
– Mais tu crois que les spectateurs vont aimer?
– Euh… Ce n’est pas gagné… Pas gagné du tout…

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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