La bande-annonce de 30 beats laissait présager l’une de ces comédies néo-romantiques qui fleurissent à Hollywood ces derniers temps. Vous savez, ces films sur le phénomène des “sex-friends”, ou ceux dont les personnages ne peuvent concevoir leur sexualité autrement qu’en accumulant les “plans cul”…

Heureusement – ou malheureusement, pour ceux qui aiment les films précités – le premier long-métrage d’Alexis Lloyd ne se situe absolument pas dans cette veine-là.

Certes, il est bien question, tout au long du scénario, de rencontres débouchant sur des relations sexuelles, mais le cinéaste a l’élégance de garder les ébats hors-champ, en prenant garde à ne jamais verser dans la vulgarité et l’érotisme bon marché.

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Il faut dire qu’Alexis Lloyd n’a rien du tâcheron hollywoodien de base. C’est un homme intelligent et raffiné, au parcours atypique. Avant de s’installer dans sa ville d’adoption, New-York, il a forgé sa cinéphilie en Europe. Il a en effet passé sa jeunesse dans le Paris des années 1960/1970, celui de la Nouvelle Vague Française. Mais il ne pensait pas, à l’époque, en faire son métier, puisque de brillantes études universitaires l’ont conduit à Sciences Po, puis à  l’ENA, et à un statut de haut-fonctionnaire. Le cinéma l’a très vite rattrapé puisque à l’âge de trente ans, il a tout plaqué pour travailler dans le milieu du septième art. Il a entamé une carrière d’assistant-réalisateur puis de producteur, travaillant notamment sur des films tels que Rédemption de Michael Winterbottom ou Peines d’amour perdues de Kenneth Brannagh. Et finalement, s’est mis en tête de réaliser ses propres films, en format court, puis long, avec 30 beats.

Ses références sont donc plutôt à chercher parmi les grands auteurs européens des années 1960/1970, français, anglais, italiens, et des pionniers du cinéma indépendant américain, comme John Cassavetes ou Barbara Loden que du côté des « entertainers » hollywoodiens.

Du côté du théâtre aussi, puisque Lloyd est un grand admirateur des pièces du dramaturge autrichien Arthur Schnitzler (1). C’est donc très logiquement qu’il a choisi de s’inspirer de la structure de « La Ronde » pour construire son premier long-métrage – A rencontre B qui rencontre C qui rencontre D, et ainsi de suite jusqu’à ce que la boucle soit bouclée avec un retour au personnage initial.

Mais il a eu l’intelligence de ne pas adapter la pièce stricto sensu, histoire de ne pas être comparé à Roger Vadim qui l’a déjà transposée à l’écran en 1964, et surtout à Max Ophüls, dont la version est reconnue comme l’un des chefs d’œuvres du septième art.

Le récit a été transposé à New York, avec des personnages différents, plus contemporains et ayant une vision de la sexualité légèrement différente.

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Ici, on trouve donc une jeune vierge qui choisit l’homme qui doit la déflorer, une voyante nymphomane qui utilise son métier pour séduire ses clients mâles, une escort-girl spécialisée dans le sadomasochisme et son client, homme de pouvoir s’abandonnant quelques minutes à cette dominatrice experte, une jeune femme ayant honte de son corps, marqué par une cicatrice disgracieuse, son psy, dont elle es tombée amoureuse, une actrice bisexuelle (ou pas), un étudiant coincé…

Les personnages changent, mais les thèmes  restent, eux, totalement universels. Il est toujours question de désirs, de pulsions, qui souvent, se heurtent aux conventions sociales. Les problématiques des protagonistes sont des plus classiques : faire l’amour pour la première fois, trouver l’âme-sœur, s’engager,  vivre une sexualité « déviante », faire commerce de ses charmes, …
La seule différence, c’est qu’ici, les femmes mènent un peu plus la danse. Elles prennent plus facilement l’initiative et manipulent des hommes un peu dépassés par les événements.

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Mais, comme chez Schnitzler,  c’est surtout un film sur la difficulté de trouver le bonheur en amour. Les personnages se croisent, s’étreignent, mais n’éprouvent pas des sentiments synchrones. Tous sont aimés par quelqu’un, mais repoussent cet amour ou n’y prête pas d’importance. Et tous sont amoureux d’une personne qui ne partage pas leurs sentiments…Une ronde des sentiments cruelle qui correspond à une certaine réalité, puisque malgré la densité de la population new-yorkaise, peu de rencontres débouchent sur une relation durable et stables. Le cinéaste nuance néanmoins un peu son propos en bouclant la boucle sur une note d’espoir, l’ébauche d’une belle histoire de couple…

30 Beats est aussi une ode à la ville de New-York, filmée comme une entité sensuelle, troublante, torride. Alors que Woody Allen n’aime à tourner dans sa ville-fétiche qu’à l’automne, pour profiter de la luminosité et les couleurs offertes par cette saison, Alexis Lloyd, lui, a osé tourner en été, en pleine canicule, un peu à la manière de Peter Sollett dans Long Way home, pour un résultat intéressant.

Il filme des extérieurs baignés de soleil, sous une lumière très vive, très crue, qui contraste avec l’ambiance intime des intérieurs, inspirée, selon le cinéaste par celle du Dernier Tango à Paris, une autre de ses influences majeures.

Le recours à une caméra super 16, au grain d’image atypique aujourd’hui, participe à donner au film son atmosphère singulière, à la fois très sensuelle et intime, chaleureuse et froide, illustrant bien les différentes facettes de ces relations fugaces.

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Joliment filmé, intelligemment mené, doté d’une belle bande-originale – signée C.C.Adcock – et  bénéficiant d’un joli casting – Vahina Giocante, Paz De La Huerta, les trop rares Jennifer Tilly et Ingeborga Dapkünaité, Justin Kirk, Jason Day et quelques révélations, comme Condola Rashad et Ben Levin –  30 Beats aurait pu être un petit bijou de chronique douce-amère. Malheureusement, il souffre d’un des défauts inhérents à ce type de construction chorale ambitieuse : on n’a pas vraiment le temps de s’attacher aux personnages et on accorde à leurs petites histoires un intérêt inégal.

Le film est bien trop court ! 1h28 seulement pour faire vivre une dizaine de personnages, c’est un peu juste…
Le cinéaste a privilégié le rythme et a donc resserré  son montage initial de façon à ne pas ennuyer le spectateur, mais, de notre point de vue,  c’est l’inverse qui se produit. Dans l’incapacité de s’attacher à certains personnages, on se désintéresse un peu de leur sort et au final, l’ennui n’est pas loin.
Dommage, car le cinéaste, on le sent, a beaucoup travaillé avec ses comédiens, véritables pivots du récit, pour qu’ils jouent le plus juste possible leurs très courtes scènes…
Par ailleurs, le séquençage des plans manque de ruptures de tons, de ruptures de rythmes qui auraient dynamisé l’ensemble, surtout les parties les plus faibles de l’œuvre.

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Le résultat final nous laisse donc un sentiment mitigé et quelques regrets, car certains passages sont vraiment magnifiques.
On aime par exemple, le regard de la voyante (Jennifer Tilly) empli de dépit et de frustration quand elle doit se résoudre à donner à son amant des conseils pour qu’il puisse séduire cette autre femme dont il est tombé amoureux.
On aime la rencontre des mots et de la parole, l’histoire de cet homme qui écrit des discours (Thomas Sadoski) et qui tombe sous le charme d’une voix, celle de Vahina Giocante.
On aime aussi et surtout la partie entre l’escort-girl (Ingeborga Dapkünaité) et le même écrivain, la plus surprenante et la plus relevée des petites tranches de vie proposées à l’écran.

Si on sort de 30 Beats un peu frustrés d’être passé de peu à côté d’un très bon film, il convient néanmoins de noter ses qualités artistiques, bien réelles et de saluer les prises de risque et les partis-pris de mise en scène audacieux, ambitieux, d’Alexis Lloyd, dont on attend les prochaines œuvres avec intérêt.

(1) : Au départ, Alexis Lloyd voulait adapter une autre pièce de Schnitzler, “Le chemin solitaire”

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30 Beats
30 Beats 

Réalisateur :  Alexis Lloyd
Avec : Ingeborga Dapkunaïté, Vahina Giovcante, Paz De La Huerta, Jennifer Tilly, Justin Kirk, Ben Levin, Jason Day, Condola Rashad, Thomas Sadoski, Lee Pace
Origine : Etats-Unis, France
Genre : ronde new-yorkaise
Durée : 1h28

Date de sortie France : 21/03/2012

Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Le Monde

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